1.04

Traduit par EllieVia

4654 mots

La jeune femme s’assit sur une chaise et réfléchit. Ça semblait stupide. Non, c’était stupide. Mais il ne pouvait y avoir qu’une seule explication.

“Quand on gagne des niveaux en rêve, on en gagne aussi dans la vraie vie ?”

Erin considéra l’idée quelques instants.

“Huh.”

Elle resta assise quelques minutes de plus. Puis une demi-heure. Puis presque une heure, moment où son estomac se mit à gronder.

“Oui, oui, j’ai faim.”

Une heure plus tard, Erin décida de se lever. Son corps tenta de protester, mais son estomac réduisit ses jambes au silence d’un grondement menaçant. Elle se mit debout et tituba à contrecœur vers la porte.

Ses jambes lui faisaient mal. En sortant, Erin tâta l’arrière de ses jambes et grimaça.

“Ah oui. Les coups de couteau.”

Elle aurait dû nettoyer les plaies. Si elle avait eu de l’eau. Mais comme elle n’en avait pas et qu’une croûte s’était déjà formée, elle les laissa telles quelles et commença à marcher.

Ce fut une longue, longue marche jusqu’au verger. Erin était contente de se rappeler où il se trouvait. Et elle était encore plus contente de ne voir aucun rocher suspect sur la route, mais elle resta sur ses gardes. Pouvaient-ils s’enfouir dans le sol ? Existait-il des crabes à coquille herbeux ?

S’il y en avait, ils ne paraissaient pas intéressés par elle pour le moment. Erin retrouva facilement les étranges arbres grêles et ramassa une brassée de fruits bleus. Elle s’assit dans l’herbe et en mangea quatorze. Ce n’était pas tant qu’elle fut affamée, elle avait juste extrêmement soif. Elle aspira le plus de jus possible et en ramassa autant qu’elle pouvait en porter avant d’entamer son trajet du retour. Elle laissa les noyaux sur place.

… Quoi que, après réflexion…

Erin fit volte-face et posa deux noyaux au sommet de son tas de fruits bleus.

“Au cas où. Je devrais aussi m’équiper d’un arc et de flèches, non ? Dommage que je ne sache pas m’en servir. Ou que je n’aie pas la moindre idée de comment sculpter un arc. On sculpte bien les arcs, non ?”

Erin réfléchit à la question en remontant la pente, prenant garde à ne pas trébucher ou faire tomber les noyaux. C’était un vrai problème. Comment allait-elle faire pour fabriquer des objets ?

“Hum. Est-ce que je dois assembler trois barres de fer et deux bâtons pour faire une pioche ? Ou est-ce qu’il suffit de taper dans les arbres pour faire une épée de bois ? Dommage que je ne sois pas tombée dans le monde de Minecraft…”

Mais maintenant qu’elle y pensait, les arbres pouvaient lui servir à quelque chose.

“Du feu. C’est-à-dire, si j’arrive à couper du bois.”

Elle repensa aux branches remarquablement rigides.

“… Nope. Mais attends une seconde. Il doit bien avoir des branches qui sont tombées ? Ou…”

Elle fit demi-tour et redescendit au verger. Mais une fois sur place, elle ne trouva ni brindilles ni grosses branches au sol.

“Bizarre.”

Frustrée, Erin donna un coup de pied dans un arbre et esquiva le fruit bleu qui en tomba. Elle l’ajouta à sa pile de fruits et rentra à l’auberge.

La pièce était encore sens dessus dessous après le combat de la veille. Erin posa les fruits sur une table et commença à redresser tables et chaises.

“Crétins de Gobelins.”

Elle s’interrompit à cette idée. Des Gobelins. Ah oui. Elle s’était battue contre des Gobelins.

Ses yeux tombèrent sur le couteau qu’elle avait pris à l’un d’entre eux. Lentement, Erin plia ses jambes et elle s’assit sur le sol poussiéreux. Puis elle éternua.

“Trop de poussière. C’est crétin de s’asseoir là.”

Elle se releva et jeta un œil autour d’elle. Où était-il ? Ah, là.

“Mon chiffon. Allez, au boulot.”

Erin se baissa et se mit à balayer la poussière du sol. Ce n’était pas une tâche aisée, comme elle devait bouger toutes les tables et les chaises hors de son chemin, mais au moins ça la maintenait occupée. Elle n’avait qu’un tout petit chiffon sale, de toute manière, donc elle s’affairait surtout pour pouvoir réfléchir. Sa bouche était terriblement sèche, mais Erin se mit au travail. Elle devait se concentrer.

“Des Gobelins.”

Erin se focalisa sur les vagues de poussière qui se formait alors qu’elle nettoyait le plancher.

“Sérieusement. Des Gobelins.”

Elle décala deux tables sur le côté et poussa la poussière hors de son chemin.

“…Avec des dents de requin. C’est n’importe quoi.”

Elle réfléchit à ce point-là.

“Mais j’ai gagné.”

“De peu.”

“Ils ne sont pas si dangereux que ça.”

“À moins qu’ils ne me poignardent dans mon sommeil. Ou qu’ils ne soient très nombreux.”

“Mais je suis probablement en sécurité tant que je garde les volets et les portes fermées.”

“… Probablement.”

“Et il y a les espèces de crabes ;”

“… Ça mange les Gobelins ?”

“Ils mangeaient les fruits bleus. Donc ils doivent vivre dans le coin.”

“Mais je peux m’enfuir en courant.”

“… Du moins jusqu’à ce qu’ils me rattrapent et me submergent et me bouffent les entrailles.”

Erin s’interrompit et enfouit son visage dans ses mains. Elle regretta immédiatement cette décision.

Pouah ! Saleté de poussière !!”

Elle soupira et ramassa le chiffon. Autant se remettre au ménage… ou pas ?

“Huh. Où est passée toute la poussière ?”

Le sol de l’auberge était couvert de plancher. De manière très logique, et tout à fait en accord avec le reste de l’auberge qui était également en bois. Toutefois, Erin n’avait encore jamais vu le sol. Jusqu’à ce moment, il était resté couvert d’une épaisse couche de poussière.

À présent toutefois, elle était vraiment en train de regarder le plancher. Un plancher propre, sans la moindre trace de poussière. Erin le contempla un long moment. Puis elle regarda ses mains.

“C’est moi qui ai fait ça ?”

Ça ne pouvait être que ça, mais comment avait-elle fait ? De tous les talents, nombreux et variés qu’elle possédait… parmi les quelques talents d’Erin ne figurait pas le ménage.

Oh, elle était tout à fait capable de nettoyer les petits dégâts. Elle pouvait faire tout ce qui impliquait de jeter de l’eau et d’essuyer le tout. Mais ça ?

“Je ne fais ça que depuis, quoi, une heure ? Deux ? Et tout est parfaitement propre.”

Erin frotta le sol et rectifia cette affirmation.

“À peu près propre. On ne mangerait pas directement dessus, j’imagine. Mais c’est pour ça qu’on a des assiettes.”

Et c’était clairement bien mieux qu’avant. Distraitement, Erin se gratta la tête et sentit l’amas de poussière et de crasse se craqueler.

“Le plancher est propre. Pas moi.”

Erin contempla une nouvelle fois le sol et se sentit fiévreuse, en sueur, et très sale.

“Yup. Il faut que je boive.”

De l’eau, de préférence. Mais Erin aurait pu tuer pour une boisson bien fraîche d’à peu près n’importe quoi. Dommage qu’il n’y ait pas d’eau dans le coin.

“Il est temps d’en trouver ou je vais mourir. Je ne sais pas ce qui arrivera en premier.”

Erin sortit de l’auberge. Une minute plus tard, elle revint, attrapa le couteau, et ferma la porte derrière elle en sortant. Une minute plus tard, elle revint et jeta le chiffon qu’elle avait gardé par terre. Elle claqua la porte et partit pour de bon.

________________________________________

“Il fait vraiment très chaud.”

Erin tituba dans l’herbe, regardant ses alentours d’un œil vitreux à chaque pas. Sa bouche était sèche et collante. Elle avait mal à la tête, et elle se sentait dégoûtante et couverte de sueur. Mais toutes ses pensées étaient concentrées sur l’eau.

“L’eau. L’eau, c’est de l’eau. Parce que l’eau c’est comme ça. Où est l’eau ?”

Erin marcha pendant quelques minutes dans une direction et ne vit pas d’eau. Donc elle tourna à gauche et se mit à marcher dans cette direction.

“Je pourrais boire du Gatorade. Ou du Pepsi. J’aime bien le Coca, aussi. Et si je buvais un mélange de Pepsi, de Coca et de Gatorade ? Gatorpepcoca ? Pegatoca ?”

Elle se rendit compte qu’elle avait l’air folle. C’est-à-dire, plus que d’habitude. Erin regarda autour d’elle pour voir si elle voyait de l’eau et sentit la tête lui tourner. Elle commençait à vraiment avoir très mal à la tête.

“Cogapeptorade ?”

Son pied glissa. Ou peut-être qu’elle tituba. Tout cela étant qu’Erin trébucha et elle dut tourner sur elle-même pour retrouver son équilibre. C’était tellement drôle qu’elle se mit à tourner sur elle-même en marchant. Elle s’arrêta au bout de quelques secondes et essaya de ne pas vomir.

“Suis malade.”

Elle s’épongea le front. Au moins, elle ne suait pas. Il faisait très chaud, pourtant. Bizarre.

Il fallait vraiment qu’elle aille s’asseoir à l’ombre. Mais il n’y en avait pas vraiment, ou du moins elle n’en trouvait pas là où elle était. Peut-être que si elle s’allongeait elle se sentirait mieux ?

Erin commença à se baisser. À mi-chemin, elle se souvint.

“Le torrent !”

Elle essaya de se relever et faillit s’étaler par terre.

“Où… où était-ce ?”

La tête en train de tournoyer, Erin regarda autour d’elle. Elle voyait encore l’auberge.

“C’était là-bas. Donc si je suis ici… par là ?”

Tremblante, Erin se mit à tituber en direction du torrent. Par chance, elle était plus près qu’elle ne l’avait cru et elle y fut en quelques minutes.

_________________________________

Le torrent est froid et rapide. La jeune femme n’en a cure. Dès l’instant où elle le repère, elle se précipite dans l’eau et plonge tête la première.

“De l’eau !”

Elle met ses mains en coupe et se met à boire aussi vite qu’elle le peut. Puis elle recrache l’eau, nettoie la crasse incrustée sur ses mains et essaie de nouveau. Elle boit une goulée, puis une autre, puis encore cinq.

______________________________

C’est à la quatrième goulée qu’Erin se rendit compte de son erreur. L’eau était délicieuse, et froide comme la glace, mais elle était tellement assoiffée qu’elle l’avait bue comme… de l’eau. Cinq minutes plus tard, elle était allongée sur le flanc et essayait de ne pas vomir.

Elle avait bu trop d’eau pour son organisme déshydraté. Erin sentait son estomac bondir pour se vider et elle était déterminée à ce qu’il n’en fasse rien.

“J’ai… j’ai mal. J’ai vraiment mal…”

Au bout d’un moment, la douleur s’estompa. Erin se releva avec réticence. Elle était contente de ne pas avoir vomi. Elle ne possédait que les vêtements qu’elle avait sur le dos, après tout.

En parlant de vêtements… Erin leva un bras et se renifla l’aisselle.

“… C’est l’heure du bain.”

______________________________

Erin s’assit dans le torrent en essayant d’empêcher ses dents de claquer. Il faisait froid. Pas au point de l’engourdir, ce qui n’aurait pas été si mal.

“Être eng-engourdie serait préférable à av-voir très f-froid.”

Mais c’était de l’eau, et elle la rendait propre. Et plus elle restait assise, et plus Erin se réchauffait. C’était probablement parce que son corps était en train de geler, mais elle s’en fichait.

Erin parcourut son crâne de la main et soupira. Elle frotta, fort, mais sans savon ni shampoing que pouvait-elle vraiment faire ? Et lorsqu’elle réalisa que cela faisait des jours qu’elle n’avait pas utilisé de brosse à dents…

“Hm. Bref. Du coup [Nettoyage élémentaire] était vraiment une compétence ?”

Erin y réfléchit. C’était mieux que de penser aux caries et aux gencives pourries.

“… Hourra. Quelle compétence incroyable ! Je veux dire, il va probablement falloir que je combatte des crabes géants et des Gobelins, mais au moins je serai en mesure de nettoyer par terre pendant qu’ils seront en train de me manger !”

Elle soupira et plongea sa tête dans l’eau.

“Gah ! C’est gelé !”

Le torrent était assez profond pour qu’Erin y soit plongée jusqu’aux épaules. Et le courant était suffisamment fort pour qu’il puisse l’entraîner en aval si elle s’allongeait.

“Et si je me laisse entraîner suffisamment longtemps, est-ce que j’arriverai dans un océan ? Ou juste dans un lac ?”

C’était une idée tentante. Pourquoi ne pas simplement se laisser entraîner ailleurs ? N’importe où ne pouvait pas être pire qu’ici. Elle pouvait partir, et alors…

“Alors je me ferai sans doute manger par quelque chose d’autre. Des Gobelins aquatiques, probablement.”

Erin tapa du poing dans l’eau et soupira de nouveau.

“Des monstres, des monstres et encore des monstres. Et aucun qui ne soit comestible. Mais tout va bien, j’ai trouvé des fruits bleus qui sentent le produit pour vitres. Et une vieille auberge pleine de poussière. Et, comble du bonheur, j’ai quatre niveaux dans ma classe d’aubergiste. Hourra pour moi.”

Elle se mit un peu d’eau sur le visage. Épuisée. Elle était épuisée. Mais cela lui faisait du bien de se laver. À présent qu’elle avait trouvé de l’eau, elle pourrait au moins boire et manger. Et prendre des bains.

“Des bains franchement glacés.”

Mais cela lui faisait du bien. Et le soleil la réchauffait. Erin songea à sortir de l’eau pour s’allonger dans l’herbe et se laisser sécher au soleil. C’était une idée agréable.

“Peut-être que je ne vais pas passer une journée si terrible que ça, finalement.”

Erin rit.

“Ou pas. Touchons du bois.”

Elle se retourna, le sourire aux lèvres, pour trouver un morceau de bois à toucher et c’est là qu’elle la vit. Une ombre immense tapie dans l’eau.

Erin jaillit du torrent en faisant ce qui sembla être une bombe à l’envers au moment même où le poisson fondit sur elle. Elle sentit quelque chose d’incroyablement imposant effleurer son nombril, eut la sensation que quelque chose de visqueux se frottait à sa peau pendant un instant et elle crut que son cœur allait s’arrêter.

Puis plus rien. Erin s’affaissa dans l’herbe, cherchant son souffle, en contemplant le poisson se trémoussant sur la berge.

“Que… que…”

Le poisson bondit dans sa direction. Erin recula en catastrophe et bondit sur ses pieds. La créature avait beau être hors de l’eau, il n’en restait pas moins que sa bouche était aussi large que sa tête. Pour tout dire, cette dernière était composée d’au moins un tiers de gueule. Remplie de dents aiguisées bien trop longues.

Le poisson, plat, trapu et ressemblant fortement à un ballon armé de dents continua à se débattre. IL était difficile de déterminer s’il essayait encore de mordre Erin ou s’il tentait de retourner dans l’eau. Quel que soit son plan, les résultats n’étaient pas flagrants.

Erin le fixa des yeux.

“Un poisson. Un poisson avec des dents. Je déteste tellement ce monde.”

Le poisson finit par arrêter de rebondir d’un peu partout. Erin s’approcha lentement du poisson et le dévisagea. Était-il mort ? Il n’avait pas l’air de respirer. Il était probablement mort.

Elle pointa le poisson d’un doigt tremblant.

“Hah ! Prends ça !”

Le poisson resta inerte. Erin s’approcha un peu plus. Elle le tâta d’un orteil.

Instantanément, le poisson bondit dans les airs, se gigotant comme un serpent. Sa queue fouetta Erin en plein visage alors qu’elle essayait de s’enfuir. Fort.

Erin s’étala sous le choc et atterrit à côté du poisson en train de se tortiller. Elle s’écarta au moment où la mâchoire grande ouverte claqua à trente centimètres de son visage et attendit que le poisson s’arrête de bouger. Ce coup-ci, elle était relativement certaine qu’il était mort.

Au cas où, Erin se motiva, courut dans sa direction, et donna un grand coup de pied dans le flanc du poisson.

Aaaaaaah !”

Erin sautilla sur place, agrippant son pied.

“C’est un tas de cailloux ou quoi ?!”

Elle avait l’impression d’avoir donné un grand coup dans un sac de farine. Non pas qu’elle ait déjà donné de coup de pied à un sac de farine, mais elle imaginait que c’était à peu près la sensation qui s’en rapprochait le plus. Le poisson avait à peine bougé quand elle l’avait frappé. Il gisait au sol, bouche ouverte. Il était vraiment mort, à présent.

Au bout d’un moment, Erin cessa de sauter sur place en jurant. Elle boita jusqu’au poisson et l’observa. Il avait… deux yeux. Quatre, en fait. Mais deux de chaque côté. Un grand et un petit juste derrière.

“Beurk. Un poisson mutant avec des dents.”

Erin le contempla encore un petit moment. Son estomac gargouilla.

“Ah oui. Le déjeuner.”

Elle regarda de nouveau le poisson.

“… Sushis ?”

_________________________________

“Premier bilan : les poissons, c’est lourd.”

Le poisson mort était étalé sur le plan de travail de la cuisine. Il dégoulinait.

“Deuxième bilan : les cuisines sont équipées de couteaux.”

Et c’était un couteau très aiguisé. Ou du moins qui en avait l’air. Tester le tranchant du bout du pouce était certainement un excellent moyen de perdre ce dernier.

“Troisième bilan : le poisson, ça pue.”

Elle soupira. Bilans inutiles mis à part, elle n’avait aucune idée de quoi faire ensuite. Ou plutôt, elle n’avait qu’une vague idée de ce qu’elle devait faire ensuite.

Elle avait un poisson. Il fallait le dépiauter… ou était-ce les oiseaux qu’on dépiautait ? Puis le manger. Elle était à peu près sûre de ces deux étapes. Il fallait utiliser un feu à un moment, mais découper le poisson en tranches était un bon début. Après tout, le sashimi n’était-il pas simplement du poisson cru ? Certes, Erin n’en avait mangé qu’une fois et avait recouvert ledit sashimi de suffisamment de wasabi pour se brûler le nez, mais ça valait le coup d’essayer.

“Et dans tous les cas, j’ai besoin de manger. Donc c’est le moment de découper des trucs.”

Mais l’hésitation perdurait. Elle n’avait jamais eu à préparer un poisson. Comment était-elle censée s’y prendre ? Elle n’en avait aucune idée.

“Huh. J’imagine que [Cuisine élémentaire] ne marche pas sur les poissons.”

Ou peut-être simplement pas sur ce poisson en particulier. Erin toucha délicatement ses dents et frissonna. La peau écailleuse n’avait pas l’air facile à découper. Mais au moins, elle avait un couteau.

Certes, elle aurait pu prendre un plus grand couteau. Il y en avait plusieurs, heureusement, du couperet au couteau d’office. Mais elle avait choisi une lame plus fine parce qu’elle ne voulait pas se débattre avec les plus grosses. De plus, cette lame en question était la plus aiguisée et elle aurait besoin de tout l’aiguisage disponible.

Erin se mit à scier avec précaution la peau du poisson. Le couteau glissa sur les écailles sans réussir à s’accrocher. D’un air sombre, Erin réessaya. Elle commença à scier le flanc et sentit la peau commencer à se déchirer avec difficulté.

“Beurk. Beurk. Beurk.”

Au moins, elle savait à présent que le sang du poisson était rouge. Ce qui n’était pas spécialement réconfortant.

Erin scia un peu plus et parvint à retirer un morceau de peau. Elle regarda l’intérieur du poisson et eut un haut-le-corps.

“Oh. Oh bon sang. Pourquoi… pourquoi est-ce que c’est jaune ? C’est quoi, ça ?”

Elle tâta l’organe en question avec la pointe du couteau. Il se mit à vibrer. Un peu de pus blanc-jaune s’en échappa…

Erin posa le couteau et alla respirer un instant dans la salle commune. Elle revint quand son estomac eut cessé d’essayer de se vider.

“Il est hors de question que je mange ça. Cuit ou cru. Dans tous les cas, impossible que je mange quoi que ce soit là-dedans sans une poêle.”

Elle regarda autour d’elle. Son regard accrocha la poêle et elle sourit.

“Bien, bien. Il n’y a qu’à… se débarrasser des arêtes ? Et… et de tout ce qui est gluant.”

Avec précaution, Erin se mit à découper tous les morceaux facilement détachables. Ce n’était pas facile. Rien ne voulait vraiment sortir, et le couteau qu’elle avait choisi n’était pas exactement un outil de précision.

“Allez. Sors de là.”

L’organe jaunâtre était collé aux arêtes. Elle ne pouvait pas le sortir.

“Okay. Pas moyen de passer sur les côtés, il faut passer par dessous. Adieu petite tête, bonjour petit bidou, voici venir mon couteau.”

Erin retourna le poisson et essaya de couper la peau de ce côté. Là encore, les écailles étaient difficiles à percer. Et à présent, le tout était glissant, car recouvert de sang et de fluides de poisson.

“Allez, coupe. Coupe !”

Elle appuya fort avec son couteau. Mais il ne voulait simplement pas traverser la peau. Agacée, Erin appuya encore plus fort.

Et dérapa.

Tout était allé très vite. Sa main perdit sa prise et la lame glissa le long des écailles.

“Huh ?”

Erin cligna des yeux, et leva sa main droite. Une ligne rouge béante barrait sa paume en diagonale. Il n’y avait pas de sang.

Elle ferma son poing. Le sang se mit alors à couler. Mais elle n’avait pas mal.

Erin regarda autour d’elle, cherchant de quoi se faire un bandage. Il n’y avait rien. Pas même un bout de tissu.

Sa main avait l’air… engourdie. Puis elle se mit à la picoter.

Des bandages ? Un bout de tissu ? Il y avait… des rideaux en haut. Pas vrai ? Mais ils étaient sales, et pleins de moisissures.

Son sang dégoulinait sur le poisson. Erin voulait l’essuyer, mais elle tenait toujours son couteau. Et soudain, sa main se mit à lui faire très mal.

“… Aïe.”

Erin lâcha le couteau.

“Ahh. Ah.”

Elle serra son poignet le plus fort possible, stoppant le flux sanguin. Mais la douleur s’acharnait à présent, pulsant dans sa main.

“Bandage.”

Elle ne se souvenait pas avoir quitté la cuisine. Mais elle venait de revenir avec un des rideaux de l’étage et était en train de le découper pour en faire des bandages. Le sang tachait le tissu. C’était dur. Elle ne pouvait utiliser qu’une main et l’autre lui faisait mal.

Elle finit par réussir à serrer le tissu autour de sa main et serra les dents en nouant le tout. La tache de sang était déjà en train de s’étaler, mais au moins la plaie était couverte. Elle avait quand même mal.

Elle avait mal ! Erin essaya de réfléchir en titubant jusqu’à la salle commune. Ce n’était pas profond. Enfin si, mais elle ne voyait pas l’os. Et elle avait l’impression que c’était très profond.

“J’ai mal.”

Elle n’avait pas de mots pour décrire l’agonie qui parcourait sa main. Le monde était flou et sans importance comparé à la douleur qui irradiait de ce point précis de son corps. Tous ses sens étaient focalisés sur cet endroit, et Erin ne pouvait que se retenir de crier.

“C’est dangereux de crier. Chut.”

Elle le savait, c’était tout. Crier ne ferait d’une manière ou d’une autre qu’envenimer la situation. Au lieu de cela, Erin s’assit et serra son poignet. Le sang coulait. Ça faisait mal.

Ça faisait vraiment mal.

_______________________

Le soleil se couchait. Erin était assise sur une chaise et regardait la flaque de sang qui se formait par terre. Elle n’était pas très large. Mais une nouvelle goutte coulait toutes les quelques secondes de son bandage sanguinolent pour alimenter la flaque.

Plic. Plic.

La douleur était toujours présente. Elle ne s’était pas atténuée, même aussi longtemps après. Mais c’était… mieux. Au moins, elle pouvait réfléchir, un peu. Elle avait réussi à se lever, prendre un nouveau rideau et fabriquer un autre bandage. Mais elle n’avait pas voulu changer celui qu’elle avait déjà et elle restait donc assise.

Elle contemplait son sang.

Plic.

Quelque chose sentait mauvais. Erin leva les yeux. Quelle était cette odeur ? Elle voulait l’ignorer, mais quelques minutes plus tard elle n’y tint plus et se leva pour voir.

Cela venait de la cuisine. Erin entra, serrant son poignet.

“Oh. Bien sûr.”

Le poisson mort la regarda du haut de la planche à découper couverte de sang. Son sang. Ça puait. Et pourtant, l’estomac d’Erin gargouilla. Elle n’avait pas envie de poisson, mais elle avait faim.

Mais elle ne voulait pas manger. Erin retourna sur sa chaise et s’assit. Ce faisant, elle se cogna l’arrière des jambes. Les coupures la brûlèrent. Une différente sorte de douleur.

“J’ai compris. Ce n’est pas ma journée, pas vrai ?”

Murmura Erin. Elle préférait ne pas parler trop fort. Elle était éveillée, alors qu’elle était épuisée. La douleur ne la laisserait pas se reposer. Et elle avait faim, mais elle ne voulait pas vraiment manger.

Elle restait donc assise, et regardait son sang couler.

Plic.

***

Il faisait sombre lorsque la flaque cessa de grandir. Elle s’infiltra dans le plancher, une tache sombre dans la nuit. Erin contempla la noirceur. Elle ne pouvait pas dormir.

“Ça fait toujours mal.”

Erin contempla la table. Elle se focalisa en particulier sur le grain du bois. Inutile. Elle ne pouvait pas vraiment se distraire. Mais il le fallait.

Alors elle se mit à murmurer.

“Pion… pion en E4.”

Elle posa sa main blessée sur la table, déclenchant une vague de douleur aiguë qui finit par s’estomper pour être remplacée par une douleur sourde. Son autre main traça un carré, et ses yeux se déplacèrent sur la table vide.

“Pion en E5. Pion en F4. Pion prend en F4 — Gambit du Roi. Accepté. Fou en C4, reine en H4. Échec. Gambit du Fou. Roi en F1, pion en B5. Contre-gambit Bryan. Fou prend en B5. Cavalier en F6. Cavalier en F3…”

Elle continua son monologue tard dans la nuit. Mais la douleur de sa main ne s’éteint jamais. Elle avait juste mal. Toujours mal.




Chapitre Précédent Chapitre Suivant


1 thought on “1.04

  1. Ancienne traduction, en espérant que la lecture soit plus fluide mais restons indulgents…
    Patience dans tous les cas, le tome 1 de la VO est en cours de réécriture, je vous reposterai le tome 1 quand il sera retraduit 🙂

    Like

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s