Traduit par EllieVia
6851 mots
Jour 34
C’est drôle. J’ai déjà eu des animaux de compagnie, et les premiers jours sont toujours un tourbillon de nouvelles expériences. Mais au bout d’un moment, même nourrir une aiglonne avec des morceaux de viande sanguinolents qu’on a équarris soi-même devient une routine familière.
C’est ainsi que je me retrouve assis dans la cuisine, à jouer à picore-moi-si-tu-peux avec Frostwing. Je pense que l’exercice ne lui fait pas de mal, et je suis déjà allé faire un petit tour avec Durene. Mais d’habitude, à cette heure, je reste plutôt à l’intérieur pendant qu’elle travaille.
Oui, travaille. Le travail de Durene ne s’arrête bien sûr pas en hiver. D’ailleurs, il doit sans doute même y en avoir encore plus pendant cette saison. Nombre de ses semailles peuvent se récolter en hiver, et non seulement elle doit s’en occuper, mais elle doit également déblayer la neige tous les jours. Elle prend aussi d’ordinaire le temps de faire des réparations pour sa chaumière, de raccommoder les outils qui en ont besoin, et, bien sûr, de couper du bois.
Comme je suis là, je peux au moins lui préparer les repas et l’aider avec les petites réparations, mais mon boulot consiste surtout à m’occuper du poussin. Je ne suis certes pas un [Bûcheron]. Pour être honnête, Durene non plus, mais sa force compense largement son manque de technique. Je lui ai posé la question, une fois ; elle possède une vieille hache, mais elle prétend l’utiliser uniquement pour débiter l’arbre une fois qu’il est tombé. Quant à le faire tomber, elle dit que c’est facile.
“Eh bien, si c’est un petit arbre, je n’ai qu’à donner un coup de pied dedans ou le pousser.”
… c’est pourquoi ça a l’air assez facile pour elle. Dans tous les cas, Durene est payée une misère pour fournir Rivechamp en bois pour l’hiver, et c’est pour ça que quand elle n’est pas avec Frostwing et moi, elle est dans la forêt. Ou plutôt, je la force à y aller. Je suis à présent rempli d’assurance grâce à ma nouvelle Compétence, et on ne peut pas toujours être les uns sur les autres.
Non pas que ce soit forcément une mauvaise chose.
Bref, on est juste tous les deux, Frostwing et moi, et on teste nos réflexes. Je suis complètement absorbé par le jeu, jusqu’à sentir un… frisson en arrière-plan dans mon esprit, qui me distrait.
Je retire mon doigt un peu trop tard, et Frostwing m’assène un solide coup de bec qui me transperce la peau. Je glapis et l’entends piailler d’un air vaguement contrit. Mais je ne prête plus attention à l’oiseau. Je tourne la tête et fronce les sourcils.
“Quelqu’un vient.”
Lorsque le [Fermier] Prost arrive à la porte de la chaumière, je suis déjà là à l’attendre, un sourire aux lèvres. Si mon intuition l’a perturbé, sa voix n’en laisse rien paraître.
“Monsieur Laken, je suis enchanté de vous voir aussi en forme aujourd’hui.”
“Je suis également enchanté de votre visite, Monsieur Prost. Vous devrez cependant me dire vous-même si vous vous portez bien.”
Un peu froid, je sais. Mais je me souviens encore de ma dernière rencontre avec lui. Je l’entends marquer une pause, puis la voix de Prost se teinte d’incertitude.
“Je me porte bien, Monsieur Laken. Merci de votre sollicitude.”
“Et votre femme ? Comment va Yesel ? Et les enfants ?”
“Tout le monde va bien, Monsieur Laken.”
Bon, c’est assez de politesses. Je hoche la tête et souris de nouveau avec entrain. Et n’ajoute rien de plus. S’il veut autre chose, il n’a qu’à le dire.
Au bout d’un autre petit moment d’incertitude, Prost en vient au fait.
“Sans vouloir vous déranger, Monsieur Laken, je, ah, me demandais si je pouvais discuter avec vous. Au sujet de Durene.”
“Discuter, encore ? Eh bien, je suppose que je n’ai pas d’autre choix que de vous écouter. Quel est le problème avec Durene, cette fois-ci ?”
“Aucun problème, monsieur. C’est juste que, eh bien, j’aimerais en parler, c’est tout.”
Oh ? En parler ? Je vois. Je laisse Prost continuer.
“Durene est une bonne… fille. Mais elle n’est qu’une [Fermière], et il me semble que ce n’est pas votre cas. Elle nous l’a dit lorsqu’elle est venue au village il y a un jour de cela. Je n’aimerais pas la savoir engagée auprès de quelqu’un qui pourrait avoir d’autres… devoirs, plus tard, si vous comprenez où je veux en venir.”
Oh ? Maintenant, c’est ‘tu es trop bien pour elle’ ? C’est quoi leur problème, à ces gens ? Mon sourire se fige légèrement sur mon visage. Mais je reste silencieux. Patience. Attends qu’il continue puis gifle-le en pleine poire.
Métaphoriquement, bien sûr.
“Nous, euh, croyons comprendre que…”
Maintenant. Je l’interromps, ma voix aussi douce que possible. Amicale. Tolérante. Je glisse une confusion sincère dans mon ton.
“Je vous prie de m’excuser, Monsieur Prost. J’ai bien peur d’être quelque peu confus. Voyez-vous, je pensais que vous veniez pour autre chose.”
“Oh ? Quoi donc, Monsieur Laken ?”
“Eh bien, c’est simplement que — et vous pouvez me traiter d’idiot pour y avoir songé — je pensais que vous étiez venu vous excuser.”
“M’excuser… ?”
“Auprès de Durene. Pour l’avoir traitée d’inhumaine. De monstre.”
J’aimerais pouvoir voir sa tête. Je ne peux que sentir que l’homme se tient face à moi, mais je l’entends alors bouger dans la neige. Mal à l’aise.
“Je, ah, regrette ce qu’il s’est passé l’autre jour, Monsieur Laken. Mais je n’ai fait que dire la vérité. Il fallait qu’elle soit dite. Et même si Durene en a été… chagrinée, cela ne change pas les faits. Je ne pense donc pas avoir à dire quoi que ce soit à qui que ce soit, si vous comprenez ce que je veux dire.”
Là encore, je l’interromps. Cette fois-ci, je ne cherche même pas à dissimuler l’irritation et la colère qui sous-tendent mes propos.
“Non, bien sûr que non. Vous êtes un homme fait et Durene n’est qu’une jeune femme qui vous admire en tant qu’adulte. Pourquoi devriez-vous vous excuser d’avoir dit la vérité ? Pourquoi devriez-vous vous sentir coupable d’avoir blessé une Demi-Trolle ? Au temps pour moi.”
La voix de Prost se raidit aussi, mais il semble résolu à rester poli. Je me demande pourquoi. Ce n’est pas comme si j’allais pouvoir le battre s’il me cognait. Mais il y a peut-être en lui autre chose que de la simple bigoterie et des préjugés. Il sait peut-être que j’ai raison.
“Vous avez l’air de penser que je devrais parler à Durene, Monsieur Laken ?”
“Je n’oserais pas dire quoi faire à un homme adulte. Mais ils sont si difficiles à trouver, ces temps-ci. Où que je pose les yeux, je n’en vois aucun.”
Une nouvelle flèche décochée, et je sais qu’elle atteint une cible. Mais Prost est un homme têtu, un fermier. Il ne se couche pas, il préfère creuser et s’obstiner. Un ton raisonnable, des paroles conciliantes. J’entends bien qu’il cherche à me faire tomber d’accord avec lui, à céder un peu. C’est mort.
“Durene est… utile. Serviable. Elle se soucie des autres, je le sais bien, Monsieur Laken. Et nous avons parfois de la chance de l’avoir. Mais elle reste une Demi-Trolle. Et cela signifie qu’elle est donc en partie un monstre. Pas complètement humaine. Parfois, nous autres parents nous en inquiétons la nuit. Qu’avez-vous à répondre à cela ?”
Demi-Trolle. Si c’est tout ce qu’est Durene, ce n’est qu’un mot. Comment peuvent-ils être aussi aveugles ? Elle est plus que cela. C’est une [Paladine]. Que dirait-il si je mentionnais cela ?
“C’est une personne, Monsieur Prost. Une personne. D’où je viens — enfin, certaines personnes ont tendance à juger les autres par leur apparence, c’est vrai. Mais, et c’est un aveugle qui vous le dit, les apparences ne sont pas tout ce qui conditionne les gens. Si nous ne jugions les autres que par la vue, ne serais-je pas tout autant un… un monstre que Durene ?”
Une pause. Est-ce que j’ai réussi à faire passer un message ? J’entends Prost se déplacer encore dans la neige, puis prendre la parole.
“C’est difficile de la regarder sans peur, Monsieur Laken. Si j’avais le courage de fermer les yeux, j’aurais peut-être une opinion d’elle différente lorsque je lui parle. Mais il est difficile de passer outre.”
“Difficile, mais nécessaire.”
“Il y a de la vérité dans vos mots, monsieur. Je connais Durene et elle ne ferait pas de mal à une mouche. Peut-être…”
Peut-être. Peut-être, oui, avez-vous eu tort. J’attends la suite, mais rien ne vient.
“Eh bien, je vais y réfléchir un peu et faire connaître votre opinion aux autres ; C’est tout ce que je peux dire, monsieur.”
“Je vous en serais reconnaissant. Et j’ajouterai que si n’importe qui fait de nouveau allusion au fait que Durene ne serait pas à la hauteur, ou que je l’entends traiter de monstre, je vais commencer à lancer des objets. Et croyez-moi, je vise plutôt bien, malgré ma cécité.”
Je pourrais probablement l’atteindre avec une boule de neige, au moins aux alentours de la chaumière de Durene. Mais je m’en abstiendrai. Il est venu me parler de Durene, je lui ai dit ce que j’en pensais et lui aussi. S’il change d’avis, tout sera pour le mieux.
Mais Prost en a terminé. Il reste planté là encore un petit moment, et j’ai le sentiment qu’il me dévisage de la tête aux pieds. Lorsqu’il reprend la parole, j’entends encore cette étrange note de respect dans sa voix. Pourquoi ?
“Vous me semblez… grandi, Monsieur Laken. Mieux qu’avant, si je puis me permettre.”
“Merci. Je suis ravi de vous sembler aussi éclatant de santé.”
Plus grand ? Qu’entend-il par là ? Mais il est évident que Prost ne me parle pas uniquement de ma taille. Il s’apprête à partir lorsque j’entends Frostwing se mettre à piailler dans la chaumière. Elle a peut-être enfin humé l’odeur de Prost, ou elle a de nouveau faim.
“Quel est ce bruit ?”
Je hausse les épaules en entendant la nervosité teinter de nouveau l’attitude de Prost.
“Oh, ça ? C’est un petit aigle que j’élève.”
“Un petit…”
Il s’étouffe à moitié.
“Vous êtes un homme plein de surprises, n’est-ce pas, Monsieur Laken ? Où donc avez-vous trouvé un petit aigle ?”
“Dans la neige, comme tout le monde.”
“Et vous allez l’élever ?”
“Si j’arrive à continuer à piéger des animaux. Les aigles ne mangent que de la viande, ce qui est un peu compliqué pour Durene et moi.”
J’ai une idée soudaine.
“Dites-moi, Monsieur Prost, que diriez-vous de me vendre un peu de nourriture ? Je vous paierai un bon prix pour tout ce que dont vous pourrez vous passer.”
Prost paraît vaguement surpris par mon offre. Il était donc vraiment venu ici juste pour discuter.
“De la nourriture, monsieur ? Je ne sais pas. C’est une denrée affreusement précieuse à ce stade de l’année, et la récolte a été bonne, mais pas suffisamment pour que je me sépare de quoi que ce soit pour une bouchée de pain.”
“Que diriez-vous d’une pièce d’or ?”
Il prend une vive inspiration. J’attends patiemment, le visage détendu. Oui, j’ai beaucoup d’argent, n’est-ce pas ? J’avais presque oublié avec l’arrivée de Frostwing, mais hey, quitte à en avoir, autant le dépenser, non ? Et ce n’est pas comme si je pouvais manger de l’or.
Prost marmonne dans sa barbe, surpris. Il a l’air de prendre pour acquis le fait que je possède une pièce d’or — d’après ce que m’a dit Durene, sa famille a peut-être bien une pièce d’or dans ses économies, mais probablement pas davantage, sauf s’ils ont un travail mieux payé. Les gens vivent plus au jour le jour, ici.
“Une pièce d’or ? Je ne suis pas sûr que l’on puisse…”
“Et les autres villageois ? Je n’ai pas besoin de grand-chose, mais j’aimerais avoir davantage d’œufs que ce que les poules de Durene nous fournissent, et j’aimerais beaucoup avoir assez de viande pour l’hiver.”
“Les villageois voudront peut-être bien vous aider. Mais une pièce d’or — à ce stade de l’année — eh bien, il va falloir que je cogite un peu.”
Je hoche la tête d’un air sérieux, comme si je réfléchissais soigneusement aux paroles de PRost. Puis je me frotte le menton comme si j’étais absorbé par mes réflexions.
“Eh bien, que pensez-vous de cela ? Une pièce d’or — pour toute la viande séchée, les œufs, et autres denrées dont vous pensez pouvoir vous séparer. Si le reste du village désire ajouter une partie de leurs réserves, je monterai à deux pièces d’or. Vous pouvez prendre l’argent, Monsieur Prost, et le distribuer comme il vous semblera juste. Puis vous pourrez m’apporter ce que mon argent m’aura gagné.”
Il faut le reconnaître, Prost répond d’une voix que légèrement étranglée.
“C’est… c’est très généreux de votre part, monsieur.”
Je hausse légèrement les épaules.
“J’ai quelques économies, et des bouches à nourrir. Et j’aimerais remercier Durene pour toute l’aide qu’elle m’a apportée. Vous le comprenez, n’est-ce pas ?”
“En effet, monsieur. Très bien, en ce cas, si vous êtes sûr, j’accepte volontiers.”
Je tends la main, Prost la saisit et la serre fermement. Sa main est calleuse et froide. Plus rêche que celle de Durene, malgré sa souplesse supérieure.
“Accordez-moi un instant pour aller chercher l’argent.”
J’adore ma Compétence. Au lieu d’avoir à chercher frénétiquement à tâtons mon sac de pièces, je le trouve immédiatement. Durene l’a caché derrière un grand sac en toile, comme si des voleurs rôdaient autour de la chaumière. Mais ç’aurait sans doute été problématique que Prost entre et voie le sac traîner.
Je prends deux pièces d’or et reviens vers Prost en moins de dix secondes.
“Vous êtes affreusement rapide pour un aveugle, si je puis me permettre, Monsieur Laken.”
“La cécité n’implique pas la lenteur, Monsieur Prost.”
“Bien sûr que non.”
Je lui tends les deux lourdes pièces et il me promet de me ramener à manger le lendemain. J’ai le sentiment qu’il va en tirer le maximum avant de payer les autres villageois, mais c’est plus ou moins la raison pour laquelle j’ai fait cette offre pour commencer. Et si cela me rapporte à manger… tant mieux.
Les négociations commerciales pour l’Empire de Laken, ou peut-être l’Empire Aveugle, sont terminées. Il ne reste qu’à attendre Durene et lui annoncer la bonne nouvelle. Elle est stupéfaite, bien sûr, et un peu inquiète.
“Mais dépenser tout cet argent…”
“S’il te plaît, Durene. J’ai trouvé ce sac par accident, et il y reste encore facilement cent fois plus que cela là-dedans. Si cela nous permet de nourrir cette boule de plumes avide, je suis pour.”
Je chatouille Frostwing, notant qu’elle n’a d’ailleurs toujours pas lesdites plumes. Durene émet un son de possible acquiescement.
“Comment crois-tu que je m’en sois sorti dans mes négociations avec Prost cela dit ? Est-ce que je lui ai donné trop d’argent ?”
Durene réfléchit quelques instants.
“Une pièce d’or ? C’est… équitable ? Un gros, gros panier de viande et de nourriture vaudrait probablement une pièce d’or. Deux pièces d’or, c’est cher, mais après tout, c’est l’hiver.”
“Et ça suffira à nourrir confortablement une autre bouche en plus des nôtres cet hiver. Les villageois sont heureux, et nous aussi.”
Durene acquiesce, ou du moins, je la sens faire un mouvement, assise à côté de moi sous la couverture que nous partageons.
“C’est juste que… c’est beaucoup d’argent, Laken. Je n’ai jamais vu plus de trois pièces d’or à la fois, et c’est tout ce que le [Marchand] qui était venu ici possédait.”
Trois pièces d’or ? Cela me fait sourire, mais tristement. J’ai un sac rempli de richesses dépassant tout ce que Durene peut imaginer. Et moi ? Je n’ai aucune idée de ce que cela signifie pour elle. Je ne l’ai nullement mérité. Mais je vais essayer de m’en servir sérieusement. Après tout, si je gaspillais le cadeau qui m’avait été fait, ce serait pire que de ne pas l’avoir eu du tout.
“Je pense que deux pièces d’or, c’est bien, Durene. On a besoin de nourriture, et ainsi nous pourrons manger davantage qu’un simple potage tous les soirs. De plus, la générosité paie toujours, à condition qu’elle soit contrôlée. Surtout s’ils commencent à se poser des questions sur l’or que je possède exactement.”
Non pas que je les croie capables de risquer d’éveiller la colère de Durene. Mais l’image d’une foule déchaînée hante mes pensées, ainsi que, je pense, celles de Durene. La conversation se tait peu à peu après ça, mais je ne peux m’empêcher de songer qu’il s’agissait là d’une journée de travail fructueuse. Prost ne changera peut-être pas, mais au moins, je peux le payer pour qu’il nous nourrisse. C’est forcément déjà un bon point.
[Empereur Niveau 6 !]
[Compétence — Regard Intimidant obtenue !]
“Mais c’est une blague.”
“Hmm… ? Laken ?”
“Rien. Rendors-toi, Durene. Et toi aussi, Frostwing.”
Jour 38
Il est bien venu s’excuser auprès de Durene, je pense. Je ne l’ai pas entendu le faire, et si je lis entre les lignes de ma conversation avec Durene, les excuses étaient plus brèves que je ne l’aurais voulu.
Mais c’était déjà quelque chose.
Et on a obtenu à manger ! Je crois que le panier garni de jambon cru, d’œufs, de fromages, et d’autres délicieuses denrées a suffi à Durene. J’entendais pratiquement son estomac gargouiller lorsque Prost me l’a donné. Et les villageois ont été heureux de donner un peu de nourriture en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes. Donc nous avons rallié également un peu de bonne volonté. Un point pour la générosité.
En tout cas, Frostwing a adoré la viande. Elle mange de plus en plus chaque jour, et elle est plus grosse qu’avant – considérablement plus grosse. Je la sens s’impatienter et se déplacer davantage, et je me demande quelle taille elle devra atteindre avant d’être capable de voler.
De plus, pourquoi son nid était-il si bas, et dans un arbre, qui plus est ? Je croyais que les aigles nichaient en hauteur. Quelque chose cloche chez elle — sans parler du fait que même après l’avoir lavée, Durene dit que son duvet est résolument vert.
Je ne sais pas. J’attends de voir. J’ai réussi à dresser un peu Frostwing — elle sait à présent qu’elle ne doit pas faire caca dans son nid, mais plutôt dans un bol à côté. De plus, elle a cessé de me réveiller quand je dors ! Je suis à présent un [Dresseur] de Niveau 4, produit d’un travail acharné et de doigts pincés. Pas de nouvelles Compétences, mais je considère ma nouvelle amie comme un cadeau en soi.
Durene est sortie, elle aide les villageois à déblayer la neige, et je suis assis dehors, Frostwing recroquevillée dans une écharpe sur mes genoux. Je ne sais pas si c’est malin, mais mon lien avec elle me préviendra si elle a trop froid, et je ne veux pas qu’elle ne respire que de l’air confiné.
Il fait froid, mais j’ai chaud et j’ai le ventre plein. C’est une belle journée. Je sens alors quelque chose. Quelque chose vient de pénétrer dans la zone autour de la chaumière, plongeant du ciel. Pas quelque chose — des choses. Je me redresse, méfiant, et Frostwing pousse un piaillement inquiet. Puis j’entends la voix.
“Regardez ! Regardez, mes sœurs ! Je l’ai trouvé ! Celui qui règle sur ce petit domaine !”
Qu’est-ce que… ? Est-ce que j’ai bien entendu une voix ? Je tourne la tête en entendant un rire et sens quelque chose se mettre à tourner autour de moi ! Un insecte ? Un… oiseau ? Non. Ça parle ! Mais il n’y a personne autour de la chaumière. Je l’aurais senti. Et pourtant, quelque chose flotte dans les airs.
“Qui est là ?”
Un rire. Une voix semblable à la neige qui tombe et à la glace pure résonne alors, en haut à gauche, comme si l’oratrice volait. Elle m’appelle.
“Nous entends-tu, ô Empereur ? Nous sommes venues, nous autres les Fées de Givre de la Cour d’Hiver, pour te rencontrer ! Ne t’en sens-tu pas honoré ?”
“Des Fées de Givre ?”
Que se passe-t-il ? Y a-t-il vraiment des fées en train de voler autour de ma tête ? J’ai d’abord envie de rejeter cette idée, mais mon esprit logique prend le dessus.
D’accord, des fées. Durene me dit que la magie existe, donc pourquoi pas les fées ? Attends, il me semble qu’elle a mentionné ce nom…
“Vous êtes des Esprits de l’Hiver ?”
Des rires éclatent encore au-dessus de ma tête. Frostwing se tortille sur mes genoux avec des cris de détresse. Je crois qu’elle a peur de ces Fées de Givre, ce qui me rend méfiant. Je me souviens déjà des légendes des sidhe, et des terribles dangers qui les entourent. J’essaie de me souvenir de la marche à suivre.
Sois poli, mais courtois. Leur offrir l’hospitalité ? Ne pas leur donner mon nom, ni faire de promesses.
Je décide de me laisser porter. C’est probablement le mieux à faire, mais je décide de me montrer un peu sceptique histoire de jouer la carte de la sécurité.
“Salutations, fées. Si c’est bien là votre identité.”
Au-dessus de ma tête, j’entends un mélange de voix parler toutes à la fois, quelques-unes d’un ton outré, d’autres intriguées et joueuses. Diantre, on dirait vraiment qu’elles volent tout autour de moi !
“Tu remets notre parole en question ?”
“Oui ! Regardez ! Il ne peut pas nous voir, juste nous entendre !”
“Il n’y voit goutte !”
“Aye, mais il règne néanmoins sur ce domaine. Empereur de l’Inapparent !”
C’est à la fois terrifiant et incroyable. Mais lorsqu’elles mentionnent ce titre, je me fige sur place.
“Comment savez-vous que je me nomme ainsi ?”
Ce n’était qu’une plaisanterie faite à Durene dans l’intimité de ma chaumière il y a des semaines de cela. Les fées éclatent de rire et je sens quelque chose de plus froid que la glace flotter devant mon visage. Est-ce qu’elle est juste devant moi ? Je ne bouge pas.
“Nous avons entendu tes mots. Comment aurait-il pu en être autrement ? Tu as revendiqué ces terres face au monde et à tous ceux qui y vivent !”
Entendu mes mots ? Comment ?
“Eh bien… je suppose que je suis flatté que vous m’ayez ainsi remarqué. Mais qu’ont les fées à faire de moi ?”
Un rire cristallin, comme une stalactite qui se brise.
“Nous sommes venues nous porter témoin, bien sûr !”
“Témoin ? De quoi ?”
“N’es-tu point [Empereur] ?”
Le ton de la fée suggère que c’est là la chose la plus évidente du monde. Et je commence à comprendre. Les fées, les rois, sont liés, de la même façon que les fées ont béni Rose d’Épine dans le conte original. Et elles sont venues me voir ?
“Je suis honoré, bien sûr. Mais êtes-vous simplement venues me voir et me reconnaître, ou aviez-vous d’autres raisons ? Et ne devriez-vous pas vous incliner ? Je suis un [Empereur].”
Je joue à un jeu dangereux et probablement stupide. Mais la fée devant moi éclate de nouveau de rire, apparemment ravie de mon audace.
“Hah ! Nous ne nous inclinons devant aucun souverain mortel. Tu peux revendiquer ces terres, mais nous sommes bien plus que de la poussière et des plantes. Ton autorité n’a aucune prise sur nous.”
“Et pourtant, vous reconnaissez mon existence.”
“Bien sûr ! Tu nous prends pour des malotrues ?”
“Nous sommes venues pour nous porter témoin !”
“Pour voir un Empereur de ce petit domaine !”
“Et parce qu’on n’avait rien de mieux à faire !”
Eh bien, on dirait bien que ces fées sont venues ici parce qu’elles s’ennuyaient. Ce qui signifie qu’elles sont capricieuses. Autant se les mettre dans la poche. Mais comment ? Je ne sais pas si c’est une bonne idée de leur offrir à manger — il faudrait que je cuisine, et tous les ustensiles de cuisine de Durene sont en fer.
“Eh bien, en ce cas, au nom de l’Empire de l’Inapparent, je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes toutes des invitées d’honneur, bien que je sois au regret de vous annoncer que ma maîtresse queux et sénéchale est en train de couper du bois. Je vous en prie, faites comme chez vous.”
Les fées ont l’air enchantées.
“Oho !”
“Il est poli, celui-là ! Il sait comment nous traiter : avec respect !”
“Pas comme ces autres idiots !”
Je me demande de qui elles parlent. Je sens les fées descendre un peu, et je leur demande poliment.
“Avez-vous autre chose à faire ici que de me rencontrer ? Je ne voudrais pas vous détourner de vos tâches.”
Un chœur de dénégations me répond.
“Næ, on a le temps.”
“En attendant le printemps, on est libres !”
“Libres de faire comme bon nous semble, et pas de suivre une bête mortelle !”
“Aye ! Et on est donc venues faire ta connaissance ! Ça valait le coup de se faire saluer avec respect !”
Une autre voix s’élève, aiguë et surexcitée.
“De plus, on voulait te voir avant qu’il ne soit trop tard.”
“Chut ! Ne lui dis pas ça !”
“Attendez, quoi ?”
“Idiote !”
J’entends une légère claque et en conclus que l’une des fées a frappé l’autre. Je tiens Frostwing dans mes mains, même si elle ne bouge quasiment pas, mon cœur tambourinant soudain dans ma poitrine. Les fées. Des êtres capables de voir et de prédire le destin.
“Quelque chose de terrible est sur le point de se passer ? Je vous en prie, dites-moi.”
“Eh bien…”
“Chut ! Tais-toi !”
“Non. Oublie ce que tu as entendu, mortel !”
Les fées volettent autour de moi. Elles commencent à se disputer, et j’en entends quelques-unes dire qu’elles devraient m’expliquer. Mais la plupart sont d’avis de ne rien me dire. Quelques-unes s’envolent, et je hausse la voix d’un ton désespéré.
“Attendez, s’il vous plaît ! Je vous en supplie, restez, discutons-en.”
Une pause. Puis je les sens voler vers moi.
“Très bien. Pour tes mots accueillants, nous allons t’écouter. Parle, ô Empereur, Protecteur de la Maison de Durene.”
Pas le temps de rire, ni de poser des questions. Je m’éclaircis la gorge.
“Il me semble que vous autres… sages et nobles fées, êtes au courant d’un danger imminent pour ma personne et mon empire, dont je ne suis pas conscient.”
“Peut-être.”
“Je ne vous demanderais bien évidemment jamais de me révéler un secret. Mais je puis peut-être vous persuader de m’aider à éviter la tragédie à venir. Ou, au moins, à me révéler le danger.”
Les fées murmurent entre elles. Je retiens mon souffle — j’essaie d’apparaître formel, mais je n’ai pas vraiment d’idée du ton adéquat à adopter avec les fées. Il semble malavisé de passer un marché, mais ce désastre…
“Intrigant. Que proposes-tu, mortel ?”
Bingo ! Je reste de marbre et hoche la tête en tentant de prendre un air digne.
“Eh bien, je ne puis vous offrir de terres ou de mariage au sein de ma maison…”
“… Hah !”
“Chut !”
“… Mais que diriez-vous de richesses mortelles ? J’ai de l’or et des joyaux pour parfaire votre éclat. Les accepteriez-vous ?”
Les fées discutent entre elles avec force chuchotis bruyants.
“Mm… peut-être.”
“Hah ! Il cherche à nous flatter. Il nous prétend ‘éclatantes’, lui qui ne voit mie !”
“Ah, mais nous sommes éclatantes, n’est-ce pas mes sœurs ? N’importe quel mortel peut le voir, même les aveugles.”
“Certes ! Mais l’or, c’est lourd. Et après tout, c’est un secret.”
Finalement, elles reviennent vers moi, en secouant probablement leurs minuscules têtes. Je ne peux qu’imaginer.
“Non, ô Empereur. Ce n’est pas suffisant. La richesse mortelle n’a que peu de lustre à nos yeux. N’as-tu rien d’autre à offrir ?”
Rien. Bon sang, rien du tout. Juste un peu de nourriture, et je ne peux pas toutes les nourrir ! Si seulement j’avais un véritable empire. Mais mon titre d’[Empereur] n’est rien d’autre que de l’esbroufe. Je ne peux que…
Attendez une minute. Empereur. Empire. Et pourquoi pas…
Je me racle la gorge.
“Et si je vous accordais un titre de noblesse ?”
“Quoi ?”
“Vraiment ?”
“Tu ne plaisantes pas, mortel ?”
Est-ce que je plaisante ? Non.
“Ce n’est que tout naturel. J’offrirais l’entrée au sein de ma noble cour à toute amie de mon royaume. Toi, par exemple…”
Je pointe le doigt en direction de la fée qui vient de parler.
“En échange de ton assistance, accepterais-tu un titre ? Celui, disons, de Comtesse ?”
“Ooh ! J’aime bien !”
“Et nous, alors ?”
“Je veux aussi être une Comtesse !”
“Nay, moi !”
“Nous ne pouvons pas toutes être des Comtesses ! Et pour nous autres, mortel ?”
Fichtre, faut-il vraiment que je les soudoie toutes ? Je réfléchis à toute vitesse.
“Je pourrais faire de vous… la noblesse utérine, si vous vouliez.”
Pas vraiment un nom flatteur. Les minuscules voix discutent entre elles, puis rejettent l’idée.
“Nay ! Un autre titre !”
“Marquise, alors ? Oh… pourquoi pas Herzogin ?”
“Ooh ! J’aime bien celui-là !”
“Je veux être ça !”
“Non, moi !”
On dirait des enfants qui se disputent des titres que je viens d’inventer. Et pourtant — c’est peut-être plus que ça. C’est peut-être bizarre, mais je suis un Empereur, et j’ai effectivement le pouvoir de forger la noblesse.
… Mais tout de même, je ne peux m’empêcher de me réjouir de n’avoir aucun observateur extérieur lorsque je sors pour m’adresser à l’une des fées, agenouillées dans les airs devant moi.
“Très bien. Je te nomme Comtesse de la Cuillère à Soupe.”
Ce disant, je lui tends une cuillère en bois. Les autres fées lancent des vivats en applaudissant, et la fée m’arrache la cuillère des mains et pousse un cri triomphal. Ce statut était très demandé, mais les autres titres sont tout aussi importants. Je me tourne vers la fée suivante.
“Si vous voulez bien devenir une Reichgräfin de mon empire…”
“Aye, je le veux !”
“En ce cas, je t’accorde cette position tant que mon empire existera. Jusqu’à la fin des temps, parole d’Empereur.”
“Hah ! Je te ferai tenir parole, mortel !”
C’est bien ce qui m’inquiète. Mais je n’ai pas le temps de réfléchir aux conséquences de mes actes. Je poursuis ma tâche le long de la file de fées. Une Comtesse, plusieurs Ladies, une Duchesse et une Vicomtesse… j’en nomme une poignée Blumenritter, un Baron. Je lui ai demandé si elle voulait être Baronne, mais elle préférait Baron.
Puis c’est fini. Je pousse un soupir de soulagement et sens le nobiliaire de mon empire assemblé voler devant moi. Je m’incline royalement devant elles et les entends éclater d’un rire enchanté. Ce bruit me réchauffe le cœur malgré le froid, mais je reste terrifié.
“À présent, me révélerez-vous le sort qui guette mon empire ?”
Les fées se taisent.
“Nous ne pouvons le révéler.”
Vraiment ? Après tout cela ? Je me contente de croiser les bras et de froncer les sourcils. Les fées s’empressent de poursuivre.
“Vraiment, nous ne pouvons pas ! C’est un secret et il ne nous appartient pas de le révéler. Mais comme tu nous as accordé un présent impérial, nous te retournerons la faveur. Je te promets, ô Empereur mortel, que ce destin ne s’abattra pas sur tes terres ni sur ton peuple.”
Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Non… c’est bien. Et j’ai compris qu’il valait mieux ne pas poser de questions. Je préfère hocher majestueusement la tête.
“Je vous remercie. Vous et votre peuple êtes les bienvenues sur mes terres. Sachez-le.”
“Aye, et nous chérirons tes présents, mortel !”
“Tu seras en sécurité, nous t’en faisons la promesse !”
“Tu n’es pas trop mal… pour un Empereur !”
Les fées s’envolent en criant et en riant. Je les écoute s’en aller, tour à tour inquiet, soulagé et heureux. Les fées. Diantre.
Durene me retrouve assis dans la neige, environ une heure plus tard. Je l’entends pousser une exclamation et se précipiter vers moi.
“Laken ! Que se passe-t-il ? Que fais-tu dehors ? Tu es frigorifié !”
J’éclate de rire, ce qui la plonge encore plus dans la confusion et l’inquiétude. Je la laisse me porter à l’intérieur et être aux petits soins pour moi. Je sais à peine par où commencer. Comment puis-je seulement expliquer ce qu’il vient de se passer ? Je fais de mon mieux, mais elle-même a du mal à me croire. Mais je sais une chose, à présent, avec une terrible certitude.
“Quelque chose d’affreux est sur le point de se produire, Durene.”
Nous en serons peut-être préservés, d’après les fées. Mais je ne peux m’empêcher de m’en inquiéter. C’est peut-être une folie mortelle, mais je suis mortel. Et je m’inquiète. Mais ce n’est là que la moitié de moi. L’autre moitié s’émerveille et rêve de magie.
J’ai vu des fées.
[Empereur Niveau 7 !]
Jour 41
Le sort frappa trois jours plus tard. Je me réveillais juste, et j’étais suspendu dans cet état merveilleux entre le sommeil et l’éveil. J’étais sur le point de donner un peu de viande froide à Frostwing lorsqu’un rugissement de tonnerre résonna. Mais contrairement au tonnerre, le son ne décrut pas. Au lieu de cela, il ne fit que prendre de l’ampleur.
“Durene !”
Je m’y attendais peut-être. Mais la réalité du tremblement de terre autour de moi et des poteries de Durene qui tombent des étagères et volent en éclats m’horrifient bien plus que tout ce que j’aurais pu imaginer. J’entends Frostwing piailler, et Durene hurle mon nom.
Nous nous retrouvons au milieu de la chaumière et le grondement assourdissant nous submerge. On dirait la fin du monde, et je ne peux qu’enlacer Durene. Je la sens me serrer fort contre elle, et je ferme les yeux.
Puis, aussi vite que ce moment de terreur avait commencé, tout s’arrête. J’ouvre lentement les yeux, pour la première fois depuis des lustres. Bien sûr, je ne vois rien, mais je le fais quand même. On dirait que je devrais voir quelque chose, car le monde a changé.
Je le sais, même si la chaumière et la zone qui l’entoure aux limites de ma perception n’ont pas changé. Durene tremble dans mes bras. Enlacés comme nous le sommes, j’entends Frostwing hurler de terreur. Je parviens enfin à lâcher Durene pour rejoindre l’oiseau d’un pas mal assuré.
“Frostwing. Est-ce que tu… ?”
Elle va bien. Elle est juste terrorisée. Je vérifie avec mes mains pour être sûr. Elles tremblent. Puis j’entends Durene hoqueter de stupéfaction.
“Durene. Que se passe-t-il ?”
“La… la…”
Elle n’arrive même plus à parler. Je me précipite à ses côtés, et la sens à côté de la porte ouverte. Mais je ne sens rien.
“Durene ?”
“La neige…”
Ses yeux la voient. Mais il me faut longtemps, une éternité, pour amadouer sa bouche jusqu’à ce qu’elle me dise des choses qui fassent sens. Puis elle prend la parole et je comprends ce qu’il vient de se produire.
La neige. La neige a dévalé une lointaine montagne. La neige, déclenchée par une chute de neige ou un bruit ou les fées, s’est transformée en une avalanche qui s’est répandue, écrasant tout sur son passage. Elle a traversé des kilomètres, une vaste distance, avant de déverser ce qu’il lui restait d’énergie ici.
Même à bout de forces, elle a pu tout détruire sur son passage. Des arbres ont été déracinés, une belle portion de forêt a été ensevelie. Mais par miracle — une aide magique — la force de l’avalanche s’est divisée en deux au niveau de notre hutte. De ce que peut voir Durene, nous sommes la seule zone à ne pas avoir été ensevelie.
“C’est un miracle.”
Durene me serre de nouveau contre elle en tremblant. Je la serre contre moi, même si je sais que ce n’est pas entièrement vrai. Pas un miracle. Un présent. Un paiement.
Je ne sais pas si je devrais remercier les fées ou les blâmer. Je me résous à les remercier, et sens le soulagement parcourir mes veines. C’est fini. Nous sommes en sécurité. Si les fées n’avaient pas dévié l’avalanche, la chaumière aurait été ensevelie ou écrasée. Je me réjouis que nous ne nous soyons pas trouvés à l’extérieur, ou…
Mon cœur manque un battement. Je réalise avec horreur ce qui a dû se produire. Mon regard aveugle se tourne vers la route reliant la chaumière de Durene au reste du monde, à présent recouverte de neige.
“Oh non. Le village.”
Durene est secouée d’un hoquet horrifié. Elle me relâche.
“Il devait se trouver pile devant l’avalanche ! Laken, que faire ? Il faut que nous… tu crois qu’ils ont été épargnés ?”
Non, non, je ne crois pas. Je peux tout à fait imaginer ce qui a dû se passer. L’avalanche a frappé le village. Elle a dû… les bâtiments sont solides et elle était sur la fin de sa course. Mais quelle importance, quand on parle de tonnes de neige ?
Durene est en train de paniquer, et je suis incapable de bouger. Il faut qu’on les aide. Mais comment ? Il n’y a que Durene et moi. Est-ce qu’il faut que je prenne une pelle ? Non… à manger ? Quelle est la meilleure option ? Où iront les villageois ? Est-ce que la zone est encore dangereuse ?
Je ne sais pas quel est le bon choix. Je ne sais pas comment sauver des vies qui sont peut-être en péril — ou déjà envolées.
Réfléchis, Laken. Que puis-je faire ? Que pouvons-nous faire ?
Que ferait un [Empereur] ?
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