Interlude

Traduit par EllieVia

3400 mots

Ceci est une version non relue et corrigée. Le chapitre relu sera posté prochainement 🙂

[L’utilisateur Rose a rejoint la conversation]

[15 utilisateurs connectés]

[Carapuce344] – Lol. Encore une !

[BlackMage] – Rose, bienvenue. Content que tu aies pu rejoindre la conversation.

[batman] – SALUT.

[Rose] – Okaaaaaaaaaaay. Un écran magique flottant. 0.0

[aragorn_479] – C’est la dernière à arriver depuis quelques minutes. On dirait que la plupart d’entre nous sont là donc est-ce qu’on commence ?

[plusUn] – qu’est-ce que c’est ?? comment c’est possible ?

[Guerrier Niveau12] – non mais grave ? Un écran flottant est apparu lorsque j’ai répondu au tel. j’ai failli mourir !

[Rose] – Est-ce que c’est une espèce de Skype ?

[aragorn_479] – Je dirais plus un forum magique. Je ne sais pas comment c’est possible, par contre.

[BlackMage] – Oui, je vais peut-être commencer alors. Je suis, euh, celui qui a monté ça. On est tous connectés par magie.

[Carapuce344] – fake

[50fiftycents] – non c’est vrai je peux détecter la magie avec ma compétence

[doubleTrouble_53] – Ça reste impossible. Comment ça marche ?

[batman] – iPhones = magie. duh. y a des sorciers chez apple.

[Groupe Américain] – Attendez, laissons parler BlackMage.

[BlackMage] – J’ai réussi à relier nos téléphones, mais ça demande BEAUCOUP de puissance magique pour le faire. Et je me disais qu’un gros tas de voix ce serait trop confus donc j’ai fait un forum.

[doubleTrouble_53] – Combien de puissance ?

[batman] – plus de 9000 lol.

[BlackMage] – J’espère qu’on peut utiliser ce système comme moyen de communiquer et d’essayer de comprendre ce qu’il se passe ici.

[Loran Grimnar] – Pas beaucoup de monde ici. Est-ce que c’est à cause de la distance ?

[BlackMage] – Ça ne devrait pas poser de problème.

[aragorn_479] – Peut-être que ça ne marche qu’avec les iPhones ?

[ayan] – tout le monde est mort. on est les seuls survivants !

[50fiftycents] – on s’en branle de ceux qui ont des Android. C’est leur problème.

[asdf] – envoyez de l’aide svp !

[Groupe Américain] – On se calme, essayons de comprendre ce qu’il se passe. Si on tape tous en même temps personne ne comprendra quoi que ce soit.

[ayan] – et qui a dit que c’était toi le chef ?

[BlackMage] – Je pense qu’il a raison. On devrait commencer par les bases.

[Rose] – Quelles bases ? Je suis dans une forêt AU MILIEU DE NULLE PART. Je n’ai vu personne d’autre que des monstres depuis des JOURS !

[asdf] – sos

[aragorn_479]– Quoi, sérieux ? Je suis dans une ville en ce moment avec d’autres gens qui ont été téléportés avec moi.

[BlackMage] – Vraiment ? Où donc ?

[Kent Scott] – Est-ce que tu connais le nom de la ville ?

[Groupe Américain] – ATTENDEZ. Commençons avec les informations de base. Où êtes-vous tous ?

[aragorn_479] – Je suis à la Guilde des Aventuriers de ma ville. Pentagost.

[Rose] – Je suis dans une forêt, comme je le disais. Je n’ai aucune idée d’où je suis.

[batman] – c’est un piège lol.

[doubleTrouble_53] – C’est pas un piège. Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

[plusUn]– On s’en FOUT ! si tu arrives à nous envoyer un message, est-ce que tu peux nous ramener chez nous ?

[Carapuce344] – oh ptn oui stp !

[Guerrier Niveau12] – oui.

[asdf] – oui fais-le s’il te plaît !

[BlackMage] – Je ne peux pas faire ça. C’est tout ce que je peux faire. Je ne sais même pas ce qui nous a envoyé ici.

[50fiftycents] – merde

[Carapuce344] – je veux rentrer chez moi.

[Groupe Américain] – On peut pas faire grand-chose à ce sujet en ce moment. On devrait d’abord établir une liaison et partager des informations pour survivre en priorité?

[aragorn_479] – En ce cas, commençons avec les niveaux et les classes.

[ayan] – pourquoi ?

[aragorn_479] – C’est des bonnes infos à savoir. Je suis un [Ranger] niveau 16, d’ailleurs.

[Rose] – Classes ? Quoi ?

[BlackMage] – Pas mal. Je suis un [Ingénieur] niveau 11 en ce moment, et un [Mage] de niveau 8. C’est comme ça que j’ai pu organiser l’appel.

[Loran Grimnar] – Quoi ?? On peut devenir INGÉNIEUR ?

[BlackMage] – On dirait bien. J’ai démonté mon iPhone et d’autres objets connectés et c’est comme ça que j’ai eu la classe.

[doubleTrouble_53] – Whoa, des objets connectés ? T’as encore d’autres trucs ?

[batman] – t’auras kan la classe de [Technomage] ?

[Guerrier Niveau12] – Il y a une classe de [Technomage] ? On l’obtient comment ?

[plusUn] – il trolle juste. ignore-le.

[50fiftycents] – [Mage] niveau 10 de mon côté. La magie c’est TROP COOL !

[ayan] – je fuis depuis le début et vous vous tuez des monstres ??? voyageur niveau 4 commerçant niveau 1

[Groupe Américain] – Je suis un [Chevalier] de niveau 26. J’ai avec moi un [Assassin], un [Pyromancien], un [Dresseur], un [Tacticien], un [Pugiliste], etc… et un [Clown].

[Carapuce344] – koi

[aragorn_479] – sans dec

[doubleTrouble_53] – Vous avez une liste des classes ?

[Kent Scott] – Combien de gens sont avec toi ? Comment ils s’appellent ?

[plusUn] – impossible. tu peux pas être niv 26

[Groupe Américain] – si.

[batman] – je suis un [Dark Avenger]. niveau 999999.

[Guerrier Niveau12] – Impossible. Comment vous avez fait pour gagner autant de niveaux si vite ? Je tue des monstres tous les jours en tant qu’aventurier, et je ne suis qu’un [Guerrier] Niveau 12.

[Groupe Américain] – On dirait que notre sort d’invocation nous a tous un peu bénis. On a tous eu la classe de [Héros] quand on a été invoqués, mais à ma connaissance personne n’a réussi à avoir plus de 1 niveau dans la classe. On dirait que ça nous aide tous à gagner des niveaux plus vite.

[batman] – 1posibl. photos sinon fake

[BlackMage] – Des gens de mon côté me disent que personne n’a eu la classe de [Héros] depuis des siècles. C’est quel royaume ?

[Loran Grimnar] – Attends une seconde. Une minute. INVOQUÉS ???

[Groupe Américain] – Vous n’avez pas tous été invoqués ici ?

[aragorn_479] – Non.

[Carapuce344] – non.

[batman] – je suis l’élu.

[Loran Grimnar] – On est arrivés au milieu d’une tempête. La moitié d’entre nous sont TOMBÉS d’une falaise dès la première nuit !

[Rose] – Je me suis réveillée ici ! Aucune idée de ce qui a pu se passer !

[asdf] – aidez-moi s’il vous plaît !

[aragorn_479] – Je reviens sur le Niveau 26. Je suis ici depuis deux semaines. Bordel de merde, comment vous avez réussi à avoir autant de niveaux aussi vite ?

[Carapuce344] – pas de gros mots

[batman] – ta gueule pédé

[plusUn] – sérieux. est-ce qu’on peut te bloquer ?

[Loran Grimnar] – Deux semaines ? Je suis là depuis bien plus longtemps que ça !

[ayan] – attendez. je suis là depuis trois mois.

[50fiftycents] – QUOI

[BlackMage] – C’est important ! Quel est le dernier gros événement dont vous vous souvenez de notre monde ?

[ayan] – um. les élections ?

[BlackMage] – Elles ont déjà eu lieu ?

[ayan] – non, je veux dire qu’on est encore pendant les primaires. TRUMP vient d’être nominé pour les républicains.

[Loran Grimnar] – Une seconde. Les élections sont terminées. Depuis longtemps.

[Carapuce344] – Impossible.

[ayan] – tu mens

[Loran Grimnar] – Je suis sérieux. J’ai été enlevé juste après Noël.

[aragorn_479] – On dirait qu’il y a un gros écart temporel ici.

[Groupe Américain] – Attendez, si les élections sont finies, qui a gagné ?

[BlackMage] – Bah, Hillary.

[Rose] – Non. C’est Trump !

[plusUn] – oh sérieux putain oUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

[Guerrier Niveau12] – L’Amérique est perdue.

[ayan] – heureusement que je suis ici.

[50fiftycents] – la ferme ! Trump est 100000X mieux qu’Hillary la menteuse.

[ayan] – eeeeeeeeeeeet voilà les crétins qui débarquent. bonne chance j’espère que tu te feras bouffer par un monstre.

[plusUn] – allez vous faire foutre les libéraux

[Loran Grimnar] – ON S’EN FOUT ! C’EST PAS L’AMÉRIQUE ICI !!

[aragorn_479] – Je ne suis même pas Américain.

[Carapuce344] – koi

[ayan] – sérieux ?

[aragorn_479] – Ouaip. Je suis d’Australie. Et le reste d’entre vous ?

[plusUn] – t’as pas l’air australien

[aragorn_479] – Et si je te dis “mate”, ça te suffit ?

[Rose] – Qui écrit avec des accents ?

[batman] – raciste

[plusUn] – ta gueule

[doubleTrouble_53] – Angleterre pour moi.

[ayan] – KOIIIIIIIIIIIIIIIIIII

[Guerrier Niveau12] – Je croyais que tout le monde venait des États-Unis ! coucou les gens !

[Groupe Américain] – Je suis avec un groupe d’Américains. On vient de partout sur le continent, par contre.

[plusUn] – toi et ton “sort d’invocation” bien sûr

[Groupe Américain] – C’est pas un mensonge.

[Loran Grimnar] – Qui vient d’Amérique ? Moi.

[50fiftycents] – America ! FUCK YEAH !

[Rose] – Je viens de Californie.

[BlackMage] – Okay donc on vient d’un peu partout. Je viens aussi d’Amérique, d’ailleurs. Mais revenons à notre arrivée. Depuis combien de temps est-ce que vous êtes ici ?

[Loran Grimnar] – Peut-être quatre semaines ? Je ne sais plus trop à force.

[ayan] – soixante-dix-huit jours.

[batman] – depuis toujours

[plusUn] – un mois ? pas sûr

[Rose] – Une semaine.

[aragorn_479] – Wow. Sérieux ?

[Rose] – Ouaip, je viens d’arriver et je flippe.

[BlackMage] – Attendez, quelle est la dernière chose dont vous vous souveniez de chez nous ?

[Rose] – Hum. La dernière chose ? C’est très dur de se rappeler. Trump a banni tous les Musulmans, mais la cour judiciaire l’en a empêché. C’est le plus gros truc.

[ayan] – omg. Hitler de retour avec une perruque !

[50fiftycents] – ne sois pas stupide. le bannissement des musulmans aurait dû être fait depuis longtemps. Obama aurait dû le faire s’il n’était pas un traître

[Groupe Américain] – Je suis Musulman. Et plusieurs personnes de mon groupe aussi.

[batman] – OUCH

[50fiftycents] – je veux pas dire que tous les musulmans sont méchants. mais beaucoup d’entre vous sont des terroristes. il faut surtout protéger les Américains.

[ayan] – tellement raciste

[50fiftycents] – Va te faire foutre !

[aragorn_479] – On arrête TOUS avec la politique. On a encore beaucoup de trucs à dire.

[Kent Scott] – En effet. On devrait tous se rejoindre.

[plusUn] – où ?

[Guerrier Niveau12] – je dirais plutôt comment

[Kent Scott] – Je suis dans une ville bien protégée. Si on se retrouve tous là on sera en sécurité.

[plusUn] – oui svp !

[Rose] – Je ne sais pas où je suis.

[Kent Scott] – Dites-moi dans quelles villes vous êtes, ou quel continent.

[Groupe Américain] – Notre groupe est à Karas, une ville du Continent Maudit.

[BlackMage] – J’en ai entendu parler. C’est tout le temps la guerre là-bas, non ?

[Kent Scott] – Vous êtes où, le reste ?

[plusUn] – Je suis dans une ville qui s’appelle La Rencontre des Boucliers. Je ne sais rien de plus.

[batman] – c’est carrément un piege les gens

[asdf] – aidez-nous je ne sais pas où on est !!

[Loran Grimnar] – Ce n’est pas un piège. On essaie de se rejoindre.

[batman] – s est toi ki le dit. pourrait être un piege

[plusUn] – c’est quoi ton ptn de problème ? On doit se serrer les coudes.

[batman] – vous pourriez tous être des fakes

[Loran Grimnar] – Des fakes ? Tu penses à quoi bordel ?

[BlackMage] – Il y a plusieurs continents sur cette planète, et c’est IMMENSE. Je ne suis pas sûr qu’on puisse tous se retrouver facilement même en sachant où sont les gens.

[Groupe Américain] – Je suis d’accord. Il y a plein de monstres extrêmement dangereux là où on est. Pas un lieu sûr.

[Kent Scott] – Dites-moi où vous êtes, tous.

[asdf] – aidez-nous s’il vous plaît !!!!!!

[Loran Grimnar] – C’est tellement le merdier.

[Groupe Américain] – Essayons de s’organiser. On devrait commencer par une description courte de tout le monde. Écrivez votre nom, lieu, classes, etc.

[Kent Scott] – C’est une bonne idée.

[asdf] – SOS

[ayan] – tellement chiant ça !

[Loran Grimnar] – Est-ce que tu peux ARRÊTER ? On essaie de communiquer là.

[asdf] – SOS SOS

[asdf] – SOS

[asdf] – SOS

[batman] – asdghhhASDaj

[Loran Grimnar] – STOP.

[asdf] – aidez-nous svp !!! on a besoin d’aide !

[Loran Grimnar] – Pourquoi avez-vous besoin d’aide ? ON A TOUS BESOIN D’AIDE.

[asdf] – sauvez-nous on est en train de mourir

[Loran Grimnar] – quoi sérieux ?

[asdf] – des monstres partout on a besoin d’aide !!

[Groupe Américain] – Vous êtes en train de vous faire attaquer en ce moment ?

[plusUn] – omg.

[asdf] – pas tout de suite mais ils vont REVENIR

[asdf] – ils sortent de terre. Ils vivent là-dessous.

[Groupe Américain] – Où ? Est-ce que tu sais où vous êtes ? Quel pays ?

[Guerrier Niveau12] – quel continent plutôt. Combien d’endroits il y a ici ?

[asdf] – je ne sais pas mais on a besoin d’AIDE !

[aragorn-479] – On ne peut pas t’aider à moins de savoir où tu es.

[ayan] – si c’est trop loin comment vous allez y aller ?

[asdf] – svp…

[Groupe Américain] – Je suis désolé. Est-ce que vous pouvez vous cacher quelque part ?

[asdf] – venez s’il vous plaît

[aragorn_479] – Est-ce que tu peux nous décrire les monstres ? Je suis avec des

aventuriers. Ils peuvent vous donner des astuces pour les combattre.

[asdf] – commENT ?????? ON N’A PAS D’ARMES

[aragorn_479] – Bordel.

[Kent Scott] – Décris-nous où tu es.

[batman] – Pour sortir de la simulation, veuillez taper “EXIT” sans les guillemets dans le forum et envoyer. Une aide virtuelle vous sera envoyée dans quelques instants pour commencer le processus d’extraction.

[50fiftycents] – EXIT

[plusUn] – exit

[ayan] – EXIT

[aragorn_479] – Connard de troll.

[plusUn] – EXIT

[Guerrier Niveau12] – EXIT

[asdf] – EXIT s’il vous plaît tout de suite svp

[batman] – …lol

[plusUn] – VA TE FAIRE FOUTRE

[Loran Grimnar] – Doux Jésus. Est-ce qu’on peut virer batman du forum ? Ou au moins le mettre en mute ou quelque chose ?

[BlackMage] – Désolé. Le système n’est pas conçu comme ça.

[Prophète] – Ne prononce pas le nom du Seigneur en vain.

[batman] – koi ? lol

[aragorn_479] – Sérieusement batman, si tu ne peux pas contribuer, au moins tais-toi.

[Loran Grimnar] – Je suis d’accord.

[Carapuce344] – carrément. ferme ta putain de gueule

[batman] – vous êtes tous des haters. vous savez rien

[asdf] – AIDEZ-NOUS S’IL VOUS PLAÎT IL FAUT NOUS AIDER !!!

[Prophète] – Priez pour le Salut et Sa main vous protégera.

[Loran Grimnar] – …Et maintenant les fous sont de la partie. Merveilleux.

[Guerrier Niveau12] – mec, ferme-là. On n’a pas besoin de deux mondes avec tes conneries.

[Prophète] – Tous ceux qui prient seront Sauvés par le Seigneur notre Dieu.

[Kent Scott] – Il faut qu’on se concentre. Dites-nous vos noms. Prénom et nom.

[Carapuce344] – pk ?

[aragorn_479] – Zara Walker.

[plusUn] – caren glover

[50fiftycents] – Ridley Wallis

[ayan] – Thompson Green

[batman] – Bruce Wayne

[BlackMage] – Ce n’est pas là-dessus qu’on devrait se concentrer.

[Groupe Américain] – Je suis d’accord. On devrait partager des informations. Des astuces de survie. Vous avez des choses à partager ?

[ayan] – comment on fait de la magie ?

[batman] – avec une baguette. duh

[plusUn] – ferme-la

[BlackMage] – Il faut être activé. Tout le monde n’a pas le potentiel pour faire de la magie, mais un autre magicien doit te tester.

[aragorn_479] – Des trucs importants ? On dirait qu’acquérir des niveaux dans ce monde se fait par l’adversité, pas la répétition ?

[50fiftycents] – quoi ? EN ANGLAIS

[Loran Grimnar] – Elle veut dire qu’on ne peut pas grinder. Mais est-ce que c’est vrai ?

[aragorn_479] – On dirait oui. Plus il y a du défi, plus j’ai gagné des niveaux rapidement.

[Groupe Américain] – Je confirme.

[plusUn] – chelou. Y a moyen de détourner le système ?

[Loran Grimnar] – Si on pouvait, ce serait incroyable.

[Utilisateur s a rejoint la conversation]

[16 utilisateurs connectés]

[plusUn] – oh hey encore un !

[Groupe Américain] – Bienvenue s.

[Guerrier Niveau12] – je sais comment détourner le système. les classes multiples. plus on en a, et plus on a de compétences !

[Loran Grimnar] – Avoir de nouvelles classes est difficile. Je n’en ai pas plus de 3.

[aragorn_479] – C’est tellement le bazar. On peut diviser le forum ou pas ?

[BlackMage] – Désolé, c’est le maximum que je puisse faire.

[Kent Scott] – s, quels sont ton nom et ton prénom ? D’où viens-tu ?

[s] – ?

[ayan] – koi

[batman] – looool

[s] – Je peux lire un peu. Pouvoir traduire mon langue ?? क्या आप हिन्दी बोलते हैं ?

[ayan] – omg c’est quoi ce bordel ?

[Loran Grimnar] – C’est une langue du moyen-orient je dirais. Est-ce que quelqu’un peut la lire ?

[batman] – moi oui.

[plusUn] – tu dis de la merde

[BlackMage] – Attendez, je crois que je peux utiliser Google Traduction.

[ayan] – hors ligne ???

[Loran Grimnar] – Tu as l’appli ? TROP COOL !

[batman] – खतरे यहाँ है बात नहीं करते नकली व्यक्ति यहाँ है connard

[Loran Grimnar] – Qu’est-ce que batman vient de dire ?

[Utilisateur s s’est déconnecté]

[15 utilisateurs connectés]

[plusUn] – OMG ESPÈCE DE CONNARD

[ayan] – t’as écrit quoi ptn ?

[batman] – haha rekt !

[BlackMage] – je viens de traduire ça. batman, je te préviens. Si tu continues à agir comme ça, tu ne seras PAS réinvité pour les prochains appels.

[batman] – पसंदीदा फिल्म पूछें va te faire foutre.

[plusUn] – omg ferme ta gueule !

[ayan] – pitié dites-moi qu’on peut donner des coups de pieds à batman

[Guerrier Niveau12] – tout devient clair. c’est un random type qui ne connaît pas l’anglais et qui trolle.

[Loran Grimnar] – Bodel. Est-ce qu’on peut rester CONCENTRÉS une seconde ?

[Kent Scott] – Je suis d’accord.

[BlackMage] – En fait, j’ai une meilleure idée. Tout le monde, dites le titre d’un de vos films préférés. C’est très important. Moi, c’était le quatrième Harry Potter.

[ayan] – koi ?

[50fiftycents] – t’es taré ?

[Rose] – ???

[Groupe Américain] – Faites ce qu’il dit. Le Seigneur des Anneaux.

[aragorn_479] – Sérieux. Arrêtez de poser des questions. J’aimais bien Red Dog quand j’étais petite.

[ayan] – hum okay, Spiderman.

[jumeauFléan_53] – Princess Bride.

[asdf] – pk ? Star Wars III.

[Loran Grimnar] – Star Trek II : La Colère de Khan.

[Rose] – Interstellar ? Pas mon préféré préféré mais…

[50fiftycents] – alien. Meilleur film du monde.

[plusUn] – independence day ou godzilla

[Carapuce344] – Naruto : La voie du ninja !

[Guerrier Niveau12] – Retour vers le Futur

[batman] – BATMAN ! THE DARK NIGHT BITCHES !

[plusUn] – tout ce que tu dis me donne l’impression d’avoir le cancer. Matrix.

[Kent Scott] – Spiderman était également mon film préféré.

[BlackMage] – Prophète ?

[Prophète] – La seule Vérité est la volonté de Dieu, pas les plaisirs mortels.

[Groupe Américain] – On a besoin de savoir.

[aragorn_479] – Dis-nous.

[Prophète] – Avant d’entendre sa Voix et de Renaître je regardais des films tels que les Dix Commandements. Est-ce ce que vous désirez savoir ?

[BlackMage] – Oui, merci.

[Groupe Américain] – Je vois.

[aragorn_479] – Compris.

[ayan] – vous parlez de quoi ptn ?

[BlackMage] – Hey Kent Scott, question rapide. Quel est le vrai nom de Spiderman ?

[plusUn] – quoi ?

[ayan] – t’es srx là ?

[aragorn_479] – Que personne d’autre ne réponde.

[Kent Scott] – Très intelligent.

[Loran Grimnar] – Qu’est-ce qu’il se passe ?

[BlackMage] – Qui que soit “Kent Scott”, il n’est pas de notre monde. Comment as-tu eu cet iPhone ?

[ayan] – omg

[batman] – spamm !

[aragorn_479] – Qui es-tu ?

[Kent Scott] – J’ai trouvé cet appareil par accident.

[aragorn_479] – Tu dis de la merde. Comment as-tu trouvé le mot de passe ?

[Guerrier Niveau12] – putain c’est vrai ça

[Kent Scott] – Hahaha. Bien joué.

[Groupe Américain] – Est-ce que tu as tué le vrai Kent Scott ?

[BlackMage] – LES GENS. Le mage avec qui je suis me dit que votre NOM et PRÉNOM peuvent avoir été utilisés pour vous scruter ! Il sait où vous êtes et à quoi vous ressemblez !

[ayan] – omg omg omg

[50fiftycents] – MERDE.

[Loran Grimnar] – Est-ce que c’est toi qui a fait tout ça ? QUI ES-TU ?

[Kent Scott] – Un seul groupe pourrait réussir à faire un sortilège qui atteigne l’autre bout du monde. Toi, BlackMage, es à l’Académie Wistram.

[BlackMage] – Tout le monde, déconnectez-vous tout de suite. Ce n’est pas sécurisé.

[plusUn] – mais on a besoin d’aide !

[asdf] – Aidez-nous S’IL VOUS PLAÎT ! ON VA MOURIR !!!!!!!!!!

[Groupe Américain] – On ne peut rien faire pour le moment. NE RÉPONDEZ PLUS AUX APPELS. Tous ceux qui ont dit leurs noms, soyez PRUDENTS.

[BlackMage] – Déconnectez-vous MAINTENANT. Quelqu’un essaie de prendre le relai sur le sort en ce moment même !

[Utilisateur BlackMage s’est déconnecté]

[14 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur batman s’est déconnecté]

[13 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur Guerrier Niveau12 s’est déconnecté]

[12 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur 50fiftycents s’est déconnecté]

[11 Utilisateurs connectés]

[Kent Scott] – Je ne vous veux aucun mal. Je vais vous protéger.

[asdf] – aidez-nous s’il vous plaît

[plusUn] – non il va te tuer. ne dis rien

[aragorn_479] – DÉCONNECTEZ-VOUS

[Utilisateur Prophète s’est déconnecté]

[10 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur Loran Grimnar s’est déconnecté]

[9 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur ayan s’est déconnecté]

[8 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur asdf s’est déconnecté]

[7 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur Rose s’est déconnecté]

[6 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur Groupe Américain s’est déconnecté]

[5 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur plusUn s’est déconnecté]

[4 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur Carapuce344 s’est déconnecté]

[3 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur aragorn_479 s’est déconnecté]

[2 Utilisateurs connectés]

[Kent Scott] – Eh bien eh bien. Que c’est ennuyeux. Est-ce que je peux te persuader de rester, doubleTrouble_53 ? Je ne te veux aucun mal.

[doubleTrouble_53] – Menteur. Et tu ne parles plus à jumeauFléau.

[Kent Scott] – Ah. Quelqu’un d’autre ?

[doubleTrouble_53] – Je suis Flos.

[Kent Scott] – Eh bien. Je m’inclinerais devant toi si j’avais des jambes.

[doubleTrouble_53] – Dis-moi ton nom, voleur.

[Kent Scott] – Je ne suis personne. Certainement pas quelqu’un capable de déranger le roi endormi.

[doubleTrouble_53] – Je ne dors plus. Et je te transmets par la présente un avertissement, voleur. À toi et à Wistram et à tous les mages qui se terrent derrière leurs sortilèges et leurs portes closes. Sachez que moi, Flos, suis de retour. Que tremblent ceux qui souhaiteraient s’opposer à moi, car tout ce que je verrai deviendra mien. Je viendrai vous retrouver et briser vos tours de lâches et démasquer ceux qui chercheront à se cacher.

[doubleTrouble_53] – Je suis Flos.

[doubleTrouble_53] – Je suis de retour.

[Kent Scott] – Alors laissez-nous contempler ce que le Roi de la Destruction apportera. Jusqu’à ce jour…

[Utilisateur Kent Scott s’est déconnecté]

[1 Utilisateurs connectés]

[Utilisateur doubleTrouble_53 s’est déconnecté]

[0 Utilisateurs connectés]

[L’utilisateur 伶央 a rejoint la conversation]

[1 Utilisateurs connectés]

[伶央] – こんにちわ.

[伶央] – だれかいますか?

[Utilisateur 伶央 s’est déconnecté]

[0 Utilisateurs connectés]


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1.01 R

Traduit par EllieVia

4700 mots

Toutes les têtes de la Guilde des Coursiers se tournèrent lorsque la porte s’ouvrit. C’était une réponse conditionnée ; ceux qui couraient étaient soit prompts à remarquer les choses, soit morts.

Ryoka s’approcha d’un comptoir d’un côté de la salle, ignorant les regards qui l’évaluaient. Elle attendit que la réceptionniste lève la tête.

“Bonjour, Ryoka.”

La réceptionniste la gratifia d’un sourire amical. Ryoka hocha la tête. Elle ne sourit pas.

“Tu es venue récupérer tes récompenses ?”

Ryoka hocha de nouveau la tête. 

“Trois sceaux.”

“Très bien. Je vais signer.”

La réceptionniste attendit patiemment que Ryoka écrive son nom et fasse une liste des sceaux qu’elle avait rapportés. Elle devait écrire la composition de chaque sceau. Deux seaux de bois de chêne rouge, et le sceau de saphir et d’argent précieux.

“Oh, c’est le sceau de Magnolia ? Tu as eu de la chance de mettre la main sur cette livraison.”

“Yup.”

Ryoka termina d’écrire et fit glisser le morceau de papier et la plume vers la réceptionniste. Le sourire de cette dernière vacilla, mais elle ajouta sa signature au registre.

“La plupart des coursiers se battent pour avoir le droit de lui livrer quelque chose. Elle donne de l’argent en plus pour la rapidité, et elle est évidemment connue pour donner de généreux pourboires.”

La réceptionniste attendit une réponse. Elle obtint un hochement de tête silencieux.

“Merci.”

Ryoka tourna les talons. Elle s’approcha d’un grand tableau d’affichage couvert de morceaux de papier.

À l’instar de la Guilde des Aventuriers, les demandes de livraisons de la Guilde des Coursiers étaient gérées selon le système du premier arrivé, premier servi. C’était ce tableau qu’étudiait minutieusement Ryoka, ignorant les regards insistants posés sur elle. Elle avait l’habitude.

Ce dont elle n’avait pas l’habitude, en revanche, c’était d’entendre une voix forte et pleine d’entrain percer le silence.

“Hey, Ryoka !”

La jeune femme se tendit. Sa tête se tourna vers la porte, mais il était trop tard.  Une autre fille avançait droit sur elle. Elle était plus petite que Ryoka, mais plus large. Pas à cause du gras ; disons plutôt qu’elle avait l’air solide sans arborer les muscles apparents d’un homme.

Garia Strongheart claqua Ryoka sur l’épaule. L’œil gauche de la plus grande des deux filles tressauta, mais Garia ne le remarqua pas.

“Tu viens de terminer tes livraisons à Celum ? C’était rapide ! J’ai l’habitude de manger un bout aux marchés. Ils font un beignet à la cannelle merveilleux le matin, mais j’imagine que tu as déjà mangé, pas vrai ?”

La grande fille baissa les yeux sur Garia et la gratifia d’une fraction de hochement de tête.

“Mhm.”

“Et tu as couru pieds nus ? Je croyais que les autres me faisaient une farce lorsqu’ils m’ont dit que tu courais partout sans chaussures.”

Ryoka émit un soupir inaudible.

“Je cours de partout sans chaussures.”

“Pourquoi ? Tu n’as pas de quoi t’en acheter ?”

Garia éclata de rire. Pas Ryoka.

“Je suis simplement plus lente avec des chaussures, c’est tout.”

“Oh, c’est un truc de classe ? Logique. Mais est-ce que la classe de [Coursier Va-Nu-Pieds] est meilleure que celle de [Messager] ?”

Ryoka haussa les épaules. Sous le tableau d’affichage, il y avait une table remplie de colis à livrer. Elle en choisit un et le soupesa. Trop lourd. Elle le reposa et en essaya un autre. Assez léger pour courir avec.

Son silence ininterrompu et son désintérêt évident pour la conversation ne dérangeaient pas Garia, ou du moins, elle n’en donnait pas l’impression. La jeune fille amicale continua de harceler Ryoka, lui demandant comment était la route, si elle avait eu des problèmes, et ainsi de suite. Elle obtenait des réponses monosyllabiques, quand elle avait de la chance.

Ryoka étudia les requêtes. La plupart étaient des requêtes de livraison générale. Malheureusement, elles étaient toutes tellement espacées qu’il serait difficile d’en faire plus de quelques-unes sans devoir courir deux fois plus loin.

Un morceau de papier à moitié couvert derrière deux autres requêtes attira son attention. Ryoka l’attrapa et l’examina. Puis elle le montra à Garia.

“Quelle est la récompense pour celle-là ?”

Garia regarda le morceau de papier et secoua la tête.

“Oh, ça ? C’est une requête à l’ancienne. On en voit passer de temps en temps. Quelqu’un envoie un message pour dire qu’il ou elle veut une livraison en promettant une récompense. Mais on n’a pas la moindre idée de combien ils sont prêts à payer et à qui ils veulent livrer le colis. Et encore, celle-ci est confirmée.”

“Confirmée ?”

“Ça veut dire qu’on peut au moins prouver que ce ne sont pas des bandits. De qui est-elle ? Oh. Ne prends pas cette requête.”

“Pourquoi pas ?”

“C’est pour les Grandes Passes. L’endroit est très dangereux. Il y eut plus de morts de coursiers là-bas que… enfin bref, c’est risqué. Il y a des tonnes de monstres qui vivent dans la zone.”

“Hmmm.”

Ryoka ne changea pas d’expression en examinant la requête. Puis elle détourna les yeux. Garia décrocha une autre requête et la montra à Ryoka. 

“Que dirais-tu qu’on fasse ensemble cette livraison de minerai à Perlingor ? Le trajet serait long, mais ils offrent une pièce d’or si le colis arrive aujourd’hui ! Et les routes sont très sûres. Qu’en dis-tu ?”

L’autre fille étudia l’annonce et jeta un œil aux colis. Ils étaient remplis à craquer et aussi lourds qu’ils en avaient l’air.

“Non merci.”

“Encore ?”

Garia avait l’air déçue. Ryoka haussa les épaules, mal à l’aise.

“Je ne cours pas très bien en groupe.”

“Bon, si tu es sûre. Mais il faudra qu’on coure ensemble un de ces jours. Et si l’on faisait la course de la Route de la Sterne dans quelques jours pour délivrer les épices à Celers et Remendia ?”

Là encore, l’expression de Ryoka ne changea pas, mais elle leva les yeux au plafond en réfléchissant à la proposition de Garia.

“D’accord.”

Garia lui adressa un sourire radieux et lui mit une claque dans le dos. Là encore, l’œil de l’autre fille tressauta.

“Génial ! Je te dirai quand elle arrivera.”

“Parfait.”

Ryoka sélectionna un morceau de papier au moment où Garia se détourna. Mais la porte s’ouvrit de nouveau et elle entendit Garia héler quelqu’un.

“Fals !”

D’autres Coursiers entrèrent dans la guilde. Leur arrivée fut célébrée avec beaucoup plus d’enthousiasme et d’énergie que celle de Ryoka. Quelques autres coursiers s’approchèrent alors que les trois personnes qui venaient d’entrer se dirigeaient vers la réceptionniste pour lui donner des sceaux d’argent.

Garia rejoignit le groupe qui s’amassait autour des coursiers et sourit au plus grand. C’était un coursier blond à la peau mate avec de longues jambes et une tenue rouge de bien meilleure qualité que les vêtements des coursiers qui l’entouraient. Il portait également deux dagues à sa ceinture. 

“Fals, comment vas-tu ?”

Fals sourit à Garia et serra quelques épaules. Il montra les deux autres coursiers qui l’accompagnaient, un jeune homme et une femme.

“Nous venons juste de terminer une course pour un groupe d’aventuriers vers les vieilles ruines. On leur a apporté un tas de potions et d’équipement. Ils nous ont laissé un bon pourboire. On va aller fêter ça.”

Garia soupira, envieuse.

“Et tu n’as pas une égratignure.”

“Nous ne sommes pas assez stupides pour nous approcher des monstres.”

Fals éclata de rire et les autres coursiers se joignirent à lui.

“Alors, que fais-tu ici ? Tu vas prendre une autre requête ?”

Il secoua la tête.

“Nah. Je suis trop fatigué pour ça. Non, je voulais juste avoir un mot avec notre nouvelle coursière que voilà.”

Il s’approcha de Ryoka. Les coursiers qui s’étaient attroupés autour de lui se dispersèrent, ce qui ne laissa plus que ses deux amis et Garia.

“Ryoka, comment vas-tu ?”

La deuxième fille venait de finir de choisir deux requêtes. Elle leva les yeux du sac à dos où elle était en train de stocker les colis.

“Bien.”

Fals attendit, mais c’était tout. Garia se dandina, mal à l’aise, et les deux autres coursiers fusillèrent Ryoka du regard. Elle leur rendit leur regard d’un air égal. Toutefois, Fals continua comme s’il n’y avait pas eu de pause.

“Bien, bien. Je me demandais si tu avais besoin de conseils, comme tu es toute nouvelle. D’habitude, la plupart des coursiers commencent par être des Coursiers des Rues.”

Ryoka haussa les épaules. Là encore, Fals rompit le silence avant qu’il ne devienne trop lourd.

“Eh bien, j’ai remarqué que tu avais pris la requête de Magnolia ce matin. C’est une bonne course, pas vrai ?”

“Il y avait quelques Gobelins sur la route.”

“Certes, certes.”

Fals se gratta la tête et piétina, mal à l’aise. Ryoka termina de fermer son sac et le hissa sur ses épaules. Elle le regarda, dans l’expectative.

“Comment dire, c’est une bonne livraison. Elle est bien payée, sûre – enfin, majoritairement sûre – et les coursiers aiment bien Magnolia. Elle donne de bons pourboires et partage ses livraisons.”

Garia sourit.

“Une fois, elle m’a donné quelques friandises qu’elle avait importées d’outre-mer. C’étaient des morceaux de fruits gelés sucrés. Le goût était incroyable.”

“Exactement. Tout le monde l’aime bien. On sait qu’elle voulait que quelqu’un livre cette boisson bleue qu’elle aime tant. Elle t’en a offert un peu ?”

Ryoka secoua la tête en signe de dénégation.

“Je n’étais pas intéressée.”

Ce coup-ci, elle se fit résolument fusiller du regard par tous les coursiers à portée de voix. Fals se trémoussa de nouveau.

“Oui, bon, ce serait mieux que tu laisses un autre coursier prendre la requête la prochaine fois. Non pas que tu n’aies pas le droit de la faire – c’est juste qu’on aime bien partager la requête. Laisse une chance aux autres de se la couler douce, d’accord ?”

Il lui adressa un sourire qu’elle ne lui rendit pas. Garia jeta un regard nerveux à Ryoka. Ryoka dévisagea Fals d’un regard sans expression, puis acquiesça.

“Compris.”

Les deux autres amis de Fals s’agitèrent. Ils regardaient Ryoka avec beaucoup plus d’hostilité que Fals ou Garia. Pour sa part, Fals acquiesça et gratifia Ryoka d’un autre sourire amical.

“C’était juste pour que tu sois au courant. Bonne chance pour ta course !”

Fals s’éloigna avec les deux autres coursiers. Ryoka les regarda s’éloigner. Son visage ne trahissait aucune émotion, mais Garia la vit lever sa main pour se triturer une oreille.

Elle n’avait pas l’air normale. D’ordinaire, les longs cheveux de Ryoka couvraient ses oreilles, mais Garia pouvait voir à présent que son oreille gauche avait été déchirée par le passé. La moitié inférieure de son lobe manquait, et le reste avait guéri en une cicatrice dentelée autour du trou arrondi.

Ryoka remarqua le regard de Garia sur son oreille. Elle laissa tomber sa main et se détourna.

“Salut.”

***

Comme s’appelait la réceptionniste, déjà ? Ça me trotte dans la tête. Je crois que ça commençait par un ‘S’. Ou alors un ‘Y’ ? Non. Je suis sûre que c’était un ‘S’.

Dans tous les cas, au moins je me suis débarrassée de cette corvée. Et je peux enfin m’éloigner de la ville et des gens désagréables*.

Mon humeur s’améliore au fur et à mesure que je me rapproche des portes de la ville. Courir m’apaise. Et j’ai bien besoin de me calmer après avoir dû subir autant d’idiots**. 

* Tout le monde

** Presque tout le monde.

Okay, okay, on se calme. J’ajuste mes foulées en sprintant hors des portes de la ville. Les gens me dévisagent. Non pas que ça n’ait trop d’importance, mais je ne veux pas gaspiller mon énergie à courir trop vite tout de suite.

Destination : Remendia. C’est à environ cinquante kilomètres, ce qui en fait l’une des villes les plus lointaines pour les courses. J’y serai dans quelques heures puis je me dirigerai vers sa voisine, Ocre. Ou qu’importe son nom. Mais je passerai la nuit à Remendia étant donné que la ville est plus grande et possède de meilleures auberges.

Il y a une Guilde de Coursiers à Remendia. Il y en a une dans presque toutes les grandes villes, donc je peux toujours trouver de nouvelles requêtes où que j’aille. C’est pratique, et ça signifie que je n’ai pas à revenir ici et à me taper les coursiers désagréables du coin.

Là encore, ils font également des livraisons entre les villes, donc j’ai tendance à leur tomber dessus à un moment ou à un autre. C’est chiant.

Enfin, Garia n’est pas chiante. Elle est juste trop amicale. Mais elle est la meilleure d’entre eux. Le reste des Coursiers des cités peuvent aller se faire foutre. Surtout Fals.

Les Coursiers de cité. De ce que j’ai compris sur ces Coursiers, ce sont des sortes de facteurs. Ou factrices. Qu’importe. Mais on les divise globalement en trois catégories. Les Coursiers de rue, les Coursiers des cités et les Courriers. 

Les coursiers des rues couvrent des cités individuelles et ne s’éloignent guère d’elles. Ils prennent les boulots les plus simples et les plus sûrs, et sont les moins bien payés. Ils n’ont pas l’air d’être à un rang très élevé dans la hiérarchie de la Guilde des Coursiers. Ce sont les plus jeunes, ou les plus vieux, et c’est à peu près tout ce que j’en sais.

Je suppose que je tombe dans la catégorie des Coursiers des cités. Ils – nous – courons de ville en ville et faisons des livraisons majoritairement dans une région donnée. Un Coursier des cités peut courir pendant quelques jours s’il doit faire une livraison très longue, mais il ne s’éloignera pas de son “territoire”*. Ils prennent des boulots plus dangereux, mais là encore, ce ne sont pas des aventuriers donc un Coursier se contente dans la plupart des cas de s’enfuir en cas de danger et essaie de faire des livraisons le plus rapidement possible.

* Territoire. On est quoi, des chiens ? Mais apparemment, c’est le cas, quand on voit tous les petits groupes et les querelles intestines auxquels les coursiers se livrent. Chaque Guilde des Coursiers n’est qu’un gros tas de politique et d’amitiés entremêlées.

Puis viennent les Courriers. Je n’en ai jamais rencontré personnellement, mais j’ai entendu dire qu’ils sont l’équivalent des longs courriers. Ils peuvent aller d’un bout du continent à l’autre, ou même traverser les mers si leur livraison le demande. Ils sont rapides, efficaces et il faut apparemment des sommes d’argent faramineuses pour les engager. Mais ils sont supposés être vraiment bons dans leur travail.

De ce que m’a dit Garia, chacun d’entre eux est au moins de niveau 30, et ils ont tous des niveaux dans d’autres classes donc il est difficile de les prendre en embuscade. Et c’est…

Je regarde les alentours en courant. Je descends l’une des routes principales, mais elle est vide pour le moment. Mais je sors tout de même de la route pour courir dans l’herbe. Ce n’est pas comme si j’allais aller plus lentement dans la plaine. J’attends d’être assez loin de la route avant de crier.

“C’est tellement stupide !”

Bon, ce n’est pas tellement un cri. C’est difficile de courir en criant, et ça me fait bizarre de me parler à moi-même. Qui fait ça ? Dans tous les cas, je ne m’en suis toujours pas remise.

Des niveaux. C’est l’un des trucs les plus bizarres dans ce monde, et ce monde recèle des trésors de bizarrerie. On dirait un jeu, mais ce n’en est pas un. Au moins, il n’y a pas de seigneur démoniaque du mal ou une fin du monde imminente, et je ne suis pas l’héroïne invoquée d’une autre planète pour défendre cet endroit contre le mal.

Je suis une fille d’Ohio. Je suis une étudiante de première année à la fac, et je cours pieds nus. Je me suis retrouvée ici alors que j’étais en train de courir, et j’ai atterri dans cet asile de fous armée de mon iPhone, mon portefeuille et ma montre. Je ne suis pas une héroïne.

Mais cet endroit est exactement comme un jeu vidéo. Ou, dans tous les cas, comme un livre d’heroic fantasy. Un peu dans le genre du Seigneur des Anneaux de Tolkien, sauf que les cités que j’ai visitées n’ont ni d’Elfes ni de Nains. Pour tout dire, il n’y a pas beaucoup d’humains dont la peau ait plus qu’un léger hâle. Je suis pratiquement une alienne avec mes traits asiatiques.

Bon, revenons à la route. Je suppose que c’est une mauvaise idée de s’en éloigner. Mais je déteste devoir esquiver les wagons et entendre chaque idiot que je croise me crier un truc sur mes pieds nus. Mais c’est toujours mieux que les Gobelins, j’imagine.

À peine.

Bref, je pensais à quoi déjà ? Ah oui. Ce monde est stupide. Vraiment stupide, et le pire, c’est qu’il ressemble beaucoup à celui que j’ai quitté.

Fals. Il sous-entendait que… non, il m’ordonnait de ne plus prendre les bonnes requêtes. Et à en juger par la foule là-bas, ils pensent tous la même chose.

La politique. Ne prends pas de bonnes livraisons ou on te pourrira la vie, hein ? Et ce Fals est leur… quoi, déjà ? Il est populaire, en tout cas.

Je serre les dents. Je ne l’aime pas. Il me donne sans cesse des conseils, la plupart du temps sur les choses que je devrais faire ou non. Et comme il est un Coursier vétéran, il a l’air de passer en priorité sur les livraisons et tout le reste. Je déteste tomber sur lui dans les guildes.

Déjà. Cela ne fait qu’une semaine et demie*, mais je me suis déjà habituée à ce monde, ou au moins un peu. On peut vraiment s’adapter à tout. Mais je n’ai jamais aimé l’échelle sociale, et on dirait que la moitié du boulot de Coursière tourne autour de ça.

* Que ça ? J’ai l’impression d’être là… depuis beaucoup plus longtemps.

Je déteste Fals. Je tombe trop souvent sur lui. Et maintenant, il va falloir que je coure avec Garia, en traînant un sac à dos gigantesque sur cinquante kilomètres pour un salaire de misère. Pourquoi ai-je accepté de courir avec elle ? 

Parce que c’était trop dur de dire non.

Merde. Merde pour moi, merde pour elle, et Fals peut aller… il n’y a pas assez de merde dans le coin pour lui. Je déteste tout ça.

Donc je cours. Continue à courir. J’augmente mes foulées et mes pensées s’écoulent hors de ma tête. C’est mieux.

Les choses vont et viennent, mais au moins je peux courir. Ironiquement, dans ce monde je peux courir encore plus parce que c’est maintenant mon boulot. C’est la seule bonne chose au milieu de ce pétrin. La seule bonne chose.

Bon, ça, et un autre détail. Je souris en y pensant, et le conducteur du wagon à côté duquel je cours me jette un drôle de regard.

Ce monde a un tas de Coursiers. Et ils sont cools. Vraiment. Ils courent loin, et ceux comme Garia sont solides et assez costauds pour courir avec d’énormes sacs sur leur dos pendant assez longtemps. Mais vous savez quoi ? C’est peut-être leur régime alimentaire. Ou peut-être qu’ils ne savent rien au sujet d’une bonne hydratation, ou d’une bonne posture de course, ou…

L’idée, c’est qu’ils sont cools. Mais ils n’arrivent pas à la cheville d’une fille qui a gagné une bourse en athlétisme.

Je m’élance, et les kilomètres défilent derrière moi comme de la pluie. Je ne suis pas une coursière sociale, ou même appréciée. Du tout. Mais je suis à peu près sûre d’être l’une des plus rapides.

***

C’est une longue course. Mais je m’en tire bien et je pénètre dans Remendia juste au moment où le soleil commence à peindre le ciel de couleurs orangées. Deux livraisons. Une ici, et l’autre dans cette autre cité. Ocres ? Qu’importe.

Je m’en charge, puis retourne mes sceaux à la Guilde des Coursiers locale. Je garde mon visage impassible, rends les sceaux, et repars.

Ceci fait, je trouve une auberge. Hm. La première propose des chambres en pension complète pour trois pièces d’argent. C’est cher, mais j’ai gagné plus de trente pièces d’argent aujourd’hui. Je vais me faire plaisir.

Si tu es motivée et que tu ne meurs pas sous la dent d’un Gobelin caché dans l’herbe, être Coursière peut vraiment rapporter de l’argent. C’est vrai, une bonne part de mes gains vient de la requête de Magnolia, mais je gagne tout de même plus que la plupart des gens. Ou du moins, j’imagine.

Le travailleur moyen se fait entre trois et quatre pièces d’argent* par jour. Mais c’est une misère par rapport à ce que peuvent rapporter des marchands ou des commerçants. Même en retirant leurs dépenses journalières, ils gagnent probablement plus de vingt pièces d’argent par jour. Et ça, c’est de la petite monnaie par rapport à ce que peuvent se faire les aventuriers.

* La monnaie change d’une ville ou d’une région à l’autre. Ici, la monnaie est appelée Thestal, mais ça veut juste dire qu’ils ont un poids et un pourcentage d’argent ou d’or précis par pièce. Ceux qui doivent gérer beaucoup d’argent vérifient le type de monnaie, mais c’est tout le temps globalement des pièces d’argent, d’or ou de cuivre.

Les célèbres aventuriers. Des héros. Des gens qui peuvent trancher, couper en dés et faire exploser des choses. Je pense à eux en me prélassant dans l’une des maisons de bains publics. C’est très agréable, mais qu’est-ce que je me dis… Ah, oui.

Les aventuriers. Ils ne ressemblent pas exactement aux personnages hauts en couleur équipés d’armures de folie et d’épées gigantesques que l’on voit dans les jeux vidéo. La plupart ressemblent à des soldats médiévaux. Ou du moins, c’est le cas de ceux de bas niveau. Là encore, Garia me dit que ceux de haut niveau sont vraiment impressionnants, mais je n’en ai pas encore rencontré.

Et pourquoi est-ce que je pense aux aventuriers ? Et où est la serviette ? Et pourquoi est-ce que ce type d’entretien des bains me regarde d’un œil noir ?

Ah, oui. À cause de mes pieds. Hey, ils sont sales, mais probablement moins que d’autres zones corporelles dégoûtantes d’autres gens. Laisser un pourboire ? Peut-être.

Bref, où en étais-je ? Les aventuriers ? Ouais, ce sont des genres de… d’artistes affamés ? La chasse aux monstres ne leur rapporte pas beaucoup, mais ceux qui survivent à leurs descentes dans des donjons ou de vieilles ruines peuvent gagner des quantités inimaginables de richesses en un instant. J’imagine que c’est attrayant pour les gens qui pensent survivre. Moi ça ira, merci. J’ai vu ce que les Gobelins peuvent faire aux gens, et ce sont les monstres les plus faibles de la région.

Quoi qu’il en soit, si les aventuriers représentent le haut du panier en termes de gains, je dirais que les Coursiers tombent dans la catégorie moyenne. Le boulot est dangereux, mais nettement moins que combattre des monstres.

Pourquoi je ne m’en fous pas, déjà ? Ah, oui. L’argent. J’en ai assez.

Retour sur l’auberge. Je suis fatiguée, mais mon esprit continue de carburer. Depuis combien d’heures, déjà ? Je suis toujours énervée à cause de ces idiots à la Guilde des Coursiers. Et de Garia. Je suis plus agacée qu’en colère contre elle mais…

Elle regardait mon oreille. Ce qui est normal. Est-ce que les blessures aux oreilles sont banales dans le coin ? Le motif de la blessure est caractéristique. C’est peut-être la raison pour laquelle elle est si curieuse. Ça et le fait que je coure pieds nus. Je suppose que ce n’est pas commun, même dans les mondes fantastiques.

Retour sur l’auberge. Il est temps de manger. Je vais manger, et réfléchir. Quel repas ? Du poulet. Je pourrais prendre du poulet et de la purée. C’est délicieux, surtout que je suis affamée. Mais concentre-toi. Est-ce que ce type est en train de mater mes seins ? Oui. Je te hais, random inconnu.

Ignore-le. Mange ton poulet. Mets du gravy sur ta purée. Réfléchis.

Refaisons la liste de tout ça. Les priorités d’abord. Pour commencer, et le plus important ? De l’argent pour vivre. En ce moment, je gagne assez pour me payer une chambre d’auberge et des repas réguliers, mais il faut continuer d’économiser.

Ensuite, j’ai besoin de plus d’informations. Il n’y a pas de bibliothèque dans le coin, ou du moins elles ne sont pas ouvertes au public. J’ai besoin de cartes, mais également d’un livre sur les villes de la région. L’histoire, la culture… j’ai besoin d’un autochtone. Je ne peux pas trop leur en demander, sinon ils risquent de devenir soupçonneux. Mets cette préoccupation en veilleuse.

Quoi d’autre ? Hum. L’équipement. Le boulot que j’ai est à peu près le seul que je puisse faire. Y a-t-il d’autres alternatives ? Je pourrais devenir scribe… Si j’avais une jolie écriture. Mais savoir écrire autre chose que mon nom est plutôt commode. Dommage que ce ne me soit pas très utile.

Concentre-toi. L’équipement. Il y a des objets magiques en vente sur les marchés. Pas beaucoup – et ils sont chers. Mais il existe plusieurs sortes d’objets enchantés pour les Coursiers. J’en veux un. Mais j’essaie toujours de gagner assez d’argent pour acheter une bonne potion de soin en cas d’urgence. Cela doit rester ma principale priorité.

J’ai terminé mon repas ? Est-ce que je laisse l’assiette ici ou… ? Hm. Voyons voir. On dirait qu’ils laissent leurs assiettes. Et l’aubergiste met le tout sur mon ardoise… ? Yup. Je paierai demain.

De retour dans ma chambre à l’étage, loin des regards indiscrets et des gens qui veulent s’asseoir boire un verre avec moi. Je ne suis pas contre le fait de boire* mais je n’ai vraiment pas besoin de m’occuper d’hommes esseulés en ce moment.

* Enfin, si c’est de l’alcool, si.

Mon lit est plutôt bien ce coup-ci. Décidément, on obtient vraiment ce pour quoi on paie. J’imagine que je dépenserai dorénavant au moins deux pièces d’argent pour l’auberge. C’est cher, mais c’est toujours mieux qu’un mauvais lit.

Hm. Dernières vérifications avant d’aller me coucher. Fals ? Je le déteste. Il faut que je coure avec Garia un de ces jours. Histoire d’en être débarrassée. Je dois dépenser de l’argent pour… une potion de soin. Puis pour de l’équipement. Voilà.

Je sais ce que je dois faire demain. Je commencerai par aller à la Guilde des Coursiers et récupérer de bonnes requêtes avec de grosses récompenses. Économise, achète cette potion de soin. Mais quelque chose me turlupine alors que je suis allongée dans mon lit, une plume me piquant l’arrière de la tête.

Voilà le problème. Et c’en est un gros. Je n’ai aucune idée de quoi faire après. Pas “après” comme dans “demain”, mais “après” comme dans “quels devraient être mes plans pour le futur”. Je peux gagner assez d’argent pour vivre, mais quel est mon objectif final ? Vivre et mourir ici ? Ou retourner chez moi ? Et comment vais-je pouvoir faire ça, morbleu* ?

* Et d’où vient ce mot, d’abord ? Non. Concentre-toi. Concentre-toi.

Quand je cours, je peux m’empêcher de réfléchir à tous ces doutes qui me taraudent. Mais quand je m’arrête et que je m’apprête à dormir, je la sens ramper hors des tréfonds de mon esprit.

L’incertitude. Je ne sais toujours pas pourquoi je suis là, quelle magie ou quel destin m’a amenée ici, ou même que faire ensuite. Je gagne de l’argent et je le garde, mais je ne sais pas quoi en faire. Je cours et je cours, et un jour je tomberai sur un truc dangereux. Ce monde est plein de monstres, et je ne sais pas quoi faire.

Il n’empêche que je ne peux pas m’en inquiéter maintenant. Je dois dormir. Si je suis fatiguée demain ou que je ne me réveille pas à temps, je vais rater les bonnes livraisons.

Je ferme les yeux. Il est temps de dormir. Mon esprit tourne à toute vitesse, mais mon corps, lui, est fatigué. Je m’assoupis dans mon matelas. Il n’est pas tellement différent de celui que j’ai à la maison, pour être honnête. Peut-être un peu plus bosselé et globalement moins confortable, mais ça ira. Et je suis tellement fatiguée.

Merde. J’ai oublié. Avant de s’endormir. Concentre-toi. Bloque les messages…

Classe de [Coursière Va-Nu-Pieds] obt…

Compétence [Coursière Va-Nu-Pieds] obt…

[Compétence : …]

[Comp…]

Je déteste être obligée de faire ça tous les soirs.

 


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Interlude – 1.00 R

Traduit par EllieVia

2900 mots

Le vent souffle dans mes cheveux. C’est une sensation merveilleuse. Les gens sous-estiment souvent à quel point une bonne brise peut changer une journée.

Et aujourd’hui, avec un ciel bleu et clair, sans un nuage, qui ne voudrait pas être dehors ? L’air est frais, et la brise l’emporte largement sur la climatisation.

C’est un jour rêvé pour courir. J’ai couru lors de mauvaises journées où la chaleur pourrait assommer un cheval, et j’ai couru à travers des orages, des typhons et même des crottes de chien. Deux fois. Et bien que je sois capable de serrer les dents et de continuer à courir même lorsque le monde est contre moi, je vis pour les jours où il me soutient.

Le vent me rafraîchit et m’emplit d’énergie. Je sprinte à travers l’herbe qui m’arrive aux genoux, et je souris. Grâce à cette température, je ne transpire pas autant qu’avant. Ce qui signifie que je ne surchaufferai pas et que je pourrai courir plus vite. C’est le genre de petit détail qui fait la différence entre une bonne course et une excellente course.

Un caillou apparaît dans l’herbe et je saute par-dessus au dernier moment. Prudence. À la vitesse à laquelle je cours, je peux facilement me casser un pied si je trébuche dessus. J’ai fendu mes ongles d’orteils plus d’une fois en cognant des cailloux à vive allure. Pas cool.

Continue de courir. Non, oublie. Cours plus vite. Le vent souffle sur mon visage et je souris de nouveau. Ce sont ces petites choses qui rendent la vie plus belle. Comme le vent.

Le vent rafraîchit. Il crée une force contre laquelle courir, il fait se sentir vivant. Il aide également à esquiver les flèches quand les gens te tirent dessus.

Une flèche fend l’air et je modifie légèrement ma trajectoire. Elle fouette l’air en frôlant mon bras gauche. Trop près. 

J’ajuste mon itinéraire et accumule de la vitesse. Je suis presque hors de portée des Gobelins qui me pourchassent. Encore quelques secondes et je les aurai semés.

Les Gobelins. Ce sont de terrifiants petits monstres avec des yeux rouges et des dents pointues. Ils ressemblent plus à des démons, en fait. Mais ils sont bien assez réels, et ils aiment manger les humains. S’ils peuvent les attraper, du moins.

Je cours vers la ville qui se dresse à l’horizon. Soudain, l’un d’entre eux jaillit des hautes herbes. Il est plus gros que ce dont j’ai l’habitude, et il porte une cotte de mailles rouillée et une épée courte.

Il fouette l’air dans ma direction et je bondis. Droit au-dessus de sa lame. Le Gobelin reste bouche bée lorsque j’atterris et se précipite en courant à mes trousses.

Mes jambes deviennent floues. Le Gobelin les vise avec son épée, mais je suis déjà hors de portée. Il court aussi vite qu’il le peut, mais je file tellement vite qu’on dirait qu’il pourrait tout aussi bien être immobile.

« Bien tenté. »

Je marmonne dans un souffle en continuant à courir. Je n’ai ni le temps ni l’oxygène pour dire cela à voix haute, évidemment. De plus, je suis nulle en répartie. Ou… en insultes. Dans tous les cas.

Le Gobelin s’arrête au bout de quelques mètres et crie quelque chose dans mon dos d’une voix stridente. Je l’ignore et continue à courir. Au bout d’un moment, j’entends le cri de guerre strident des Gobelins et ils abandonnent la poursuite.

Au bout de quelques milles, ou pour rester plus internationale, quelques kilomètres, je m’arrête. Je scanne rapidement la zone autour de moi. Des herbes plus basses dominent dans cette pente douce. On dirait que j’ai semé la tribu de Gobelins.

Je respire plusieurs fois profondément et m’essuie le front. Pas énormément de sueur. Bien. Je serais inquiète si je me fatiguais aussi vite.

Ainsi se déroule ma matinée. Je mentirais si je disais qu’elle est ordinaire pour une fille née dans la meilleure ville du monde*, mais je peux m’habituer à n’importe quoi.

* New York, de toute évidence.

Il est temps de retourner à ma course. Au bout de quelques secondes, je commence à marcher, puis j’accélère. Mais le temps, c’est de l’argent et je reviens rapidement à ma vitesse d’origine. Pas un sprint ; je dois conserver autant d’énergie que possible en cas d’urgence, comme une attaque de Gobelins, de Loups-Garous, de bandits, de zombies, de squelettes, de Crelers*, ou plein d’autres créatures répugnantes vivant dans les plaines**.

* Je n’ai jamais vu ces monstres en particulier. Je ne suis même pas sûre qu’il s’agisse de leur vrai nom — les locaux les appellent simplement des « Rampants des tunnels ». Apparemment, ce n’est pas le genre de trucs sur lequel on veut tomber.

** Si j’en parle comme d’un endroit horrible, c’est uniquement parce que je suis consciente des dangers possibles. La plupart du temps, il n’y a pas vraiment tant de monstres que ça dans le coin. C’est juste que l’on ne sait jamais à quel moment l’un d’entre eux va faire son apparition.

Bref, je continue de courir. Je profite du vent dans mes cheveux pendant un petit moment avant d’enfin atteindre la ville en question.

De hauts murs gris, et des lanciers et archers dans des tours en train de surveiller les monstres. Il s’agit de Cerum, ou un truc comme ça. C’est une ville, appartenant à la Confédération Alliée des Plaines Septentrionales, donc une cité-État*. Et ma destination actuelle.

* C’est plus qu’une simple ville. Elle n’est pas si grande que ça, mais toutes les cités ont leurs propres règles. Certaines sont dirigées par un conseil, d’autres ont élu des dirigeants comme on le fait chez nous, et certaines ont toujours des Lords et Ladies, bien qu’apparemment seule une poignée d’entre elles aient gardé ce système. L’idée, c’est qu’elles s’allient toutes en cas de menace, mais gardent leurs objectifs et leurs querelles individuelles. Comme les bons vieux États-Unis.

Je m’approche des portes ouvertes de la ville. Un garde est en service afin de pouvoir claquer la porte au nez d’un visiteur dangereux ou très moche, mais il ne tressaille même pas à mon approche.

« Bien le bonjour. », me salue-t-il. Enfin, je pense que c’est un salut. Je lui fais un petit signe de la main.

« Des Gobelins. À quelques kilomètres de la cité. »

Il acquiesce et dit quelque chose que je ne saisis pas. « Dommage qu’ils se soient sauvés » ou un truc du genre. J’acquiesce comme si je l’avais bien entendu et je cours dans la cité, l’herbe faisant place aux durs pavés sous mes pieds. Agaçants et moins pratique pour courir dessus ; je vais devoir ralentir.

Je passe d’une course rapide à de petites foulées de jogging, mais pas le genre que l’on voit à la télé. Je déteste l’espèce de jogging rebondissant que les acteurs prétendent faire, et qui passe complètement à côté de ce qu’est la course. Le jogging, comme le sprint ou la marche ou n’importe quoi d’autre doit être fluide et concis. On ne perd pas d’énergie à donner l’impression d’être perché sur un bâton sauteur.

Voyons voir. Les piétons sont déjà de sortie et s’affairent bien que l’aube soit à peine levée. Bien. J’aurais détesté devoir attendre. Je navigue à travers les rues, me guidant à l’aide des panneaux accrochés au-dessus des rues.

C’est génial que tout le monde dans le coin parle et écrive en anglais. Cela aurait été incroyablement agaçant* s’ils avaient parlé ou écrit dans une autre langue. Mais par un quelconque coup du sort, la langue dominante de ce monde est l’anglais. Bien sûr, il existe d’autres langues, mais apparemment la plupart des espèces connaissent l’anglais.

* et réaliste.

Mais bref. Alors que je ralentis pour laisser passer une carriole, je réfléchis à ce que m’a dit le garde. Était-ce un avertissement ? Disait-il qu’il était dommage que je me sois enfuie sans les combattre ? Ça va me travailler sur la course du retour. Pourquoi les gens ne comprennent-ils pas que ce n’est pas une bonne idée de dire des choses à quelqu’un qui est en train de courir ? On les entend à peine même sans iPod pour nous cracher de la musique* dans les oreilles. De plus, je ne suis pas d’une oreille attentive de manière générale.

* De la pop. Et du rock. Et de la techno, mais ça, ça passe ou ça casse. Globalement, si c’est quelque chose sur lequel je peux courir, j’écoute. J’ai un petit faible pour la musique country, mais c’est difficile de garder une bonne vitesse quand j’entends roucouler un harmonica. La country, c’est pour pleurer ou être nostalgique. Ou du moins, c’est le seul type de country que je télécharge.

Je finis par atteindre ma destination. J’entends par là que j’atteins une haute façade de marbre et lève les yeux sur la porte de bois peint la plus luxueuse que j’aie jamais vue. Un parfait mélange entre le logement urbain et le luxe.

Je prends quelques profondes inspirations. C’est le moment que je déteste le plus. Mais impossible d’y échapper, donc je m’arme de courage. Puis hésite. Je reprends une grande inspiration, me dit que je risque l’hyperventilation, et frappe à la porte.

Je déteste vraiment ce moment-là.

***

Celum, peu après l’aurore

Dès l’instant où Lady Magnolia, membre de la noblesse de la ville, ouvrit la porte, elle pressa ses mains sur son cœur.

« Diantre ! Tu es déjà là avec la livraison ? »

La fille — la jeune femme qui s’imaginait encore de temps en temps être une fille en un peu plus vieille — acquiesça en silence. Magnolia n’avait pas besoin de plus d’encouragement.

« Je ne t’attendais pas si tôt ! Mais où sont mes manières ? Magnolia Reinhart, pour te servir. Tu es la Coursière que j’attendais, c’est ça ? »

« Mmh. Votre sceau ? » répondit la jeune femme. 

Lady Magnolia hésita, puis frôla ses sourcils du bout des doigts.

« Oh. Bien sûr. Cela fait tellement longtemps que je n’ai… j’avais complètement oublié. Je t’en prie, entre pendant que je vais le chercher. »

La jeune femme hésita et jeta un œil au manoir immaculé derrière Magnolia. La lady remarqua son hésitation et baissa les yeux. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, mais elle s’empressa de poursuivre.

« Oh, ne t’inquiète pas pour ça. J’ai assez de serviteurs capables de s’occuper d’une petite tache. Je t’en prie, entre, entre ! »

La jeune femme hésita puis entra avec réticence dans la maison. Elle leva les yeux, regarda autour d’elle puis baissa les yeux sur le sol de marbre qu’elle était actuellement en train de salir, et sur les tapis luxueux, les tapisseries au mur, souhaitant sans ambiguïté être ailleurs. Mais Magnolia était en train de farfouiller dans un petit pot posé près du mur.

« Mais où ai-je mis ce sceau ? D’ordinaire, je laisserais faire l’intendante — Ressa, mais j’étais sûre que c’était mon colis. Hum… hummmm… là ! »

Sa main sortit un jeton argent et saphir du récipient. Le magnifique sceau était d’un argent brillant d’un côté, et de l’autre, d’un bleu céruléen semi-translucide. 

Elle présenta le jeton à la jeune femme qui le récupéra avec un soin extrême. Magnolia attendit patiemment que la jeune femme range soigneusement le jeton dans une bourse à sa ceinture et ouvre son sac.

C’était un sac à dos, mais aucun magasin du monde d’origine de la jeune femme n’aurait voulu l’exposer dans sa vitrine. Au lieu de Velcro, de coutures industrielles et de compartiments individuels et superflus, ce sac était en cuir cousu avec du tissu et était esthétiquement aussi beau qu’un insecte noir en train de ramper sur le dos. Mais je pouvais le fixer solidement avec des cordes et l’ouvrir sans avoir à le poser.

Précautionneusement, la messagère — car c’en était une — en sortit un objet lourdement empaqueté. Elle le lui tendit.

« Voilà. »

Lady Magnolia arracha presque le colis des mains de la jeune femme et ouvrit sans ménagement les épaisses couches de laine et les ficelles qui protégeaient l’objet. La jeune femme cligna des yeux devant les déchets jonchant le sol puis leva les yeux sur le colis qu’elle avait amené ici au prix de beaucoup d’efforts.

Une bouteille émaillée de cristal rouge scintilla entre les mains de Magnolia et illumina pratiquement le foyer.

« Magnifique, n’est-ce pas ? »

Magnolia fit tournoyer le liquide bleu à l’intérieur de la bouteille et sourit avec douceur. Elle se retourna vers la jeune femme et inclina légèrement la tête.

« Je ne peux te remercier assez d’avoir apporté cette bouteille à temps pour le brunch. J’ai invité plusieurs amis et je leur avais promis que nous partagerions un verre de ce breuvage exquis ensemble. Il est vraiment cher, mais tellement délicieux ! Il est issu de la distillation d’un fruit très toxique — je crois qu’ils appellent ça l’Amentus. C’est tellement difficile de mettre la main dessus, mais j’avais promis ! Et, crois-le ou non, j’ai bu le dernier verre hier. J’ai donc posté la requête et te voilà ! »

Elle sourit d’un air radieux à la jeune femme. La jeune femme ne répondit pas. Un tic nerveux agita son œil gauche.

« Je te prie d’informer la Guilde que je suis ravie de son efficacité. »

La jeune femme hocha de la tête, piétina et jeta un œil à la porte.

« Vous avez une autre requête ? »

C’était la réponse traditionnelle et Magnolia hésita.

« Eh bien, je suppose… mais non, je ne crois pas que j’ai besoin de… eh bien, là tout de suite, non, mais ce serait dommage de… non. J’imagine que non. »

La jeune femme acquiesça et commença à se glisser vers la porte. Magnolia fit tinter une cloche d’argent et une flopée de femmes en tablier et de vieux gentlemen descendirent les marches à sa rencontre. Mais dès qu’elle remarqua que la jeune femme s’apprêtait à partir, elle l’appela.

« Ne veux-tu pas rester prendre un verre ? Je n’aimerais pas te laisser partir sans une petite récompense. » 

« … Désolée. J’ai d’autres livraisons à faire. »

Magnolia eut un air abattu, mais elle se reprit aussitôt.

« En ce cas, prends au moins ce cadeau pour ta peine. Non, non ! J’insiste. »

Elle pressa une pièce dans la paume de la jeune femme. La jeune femme tenta de la lui rendre, mais Magnolia ne voulut rien entendre et elle abandonna.

« Au revoir. »

***

La jeune femme sortit du manoir que Magnolia prenait pour une maison et marcha dans la rue. Elle allongea ses foulées dès qu’elle eut assez d’espace, et sortit des beaux quartiers pour entrer dans les quartiers plus populaires. Là, elle frappa à deux autres portes et, avec bien moins de bavardages et beaucoup plus d’efficacité, tendit une lettre et un sac, et reçut deux sceaux rouges en échange.

Une fois ses livraisons terminées, la jeune femme prit soin de placer les deux jetons dans la même bourse que celle où elle avait mis le jeton saphir et argent. Elle s’assura que la bourse était bien fermée. Il était d’une importance cruciale qu’elle ne perde aucun des jetons, ou plutôt des sceaux comme on les appelait ici.

Des Sceaux de Messager. Une preuve que la livraison avait bien atteint son destinataire. Sans l’un de ces morceaux de pierre de couleur vive, une livraison apparaissait comme suspecte. Le messager devait déposer ces sceaux pour recevoir sa récompense, ce qui les rendait précieux.

Jusqu’à un certain point.

Parmi les classes de patrons les plus riches, les Sceaux de Messager étaient un signe de statut et de pouvoir. Les marchands et les banquiers utilisaient des gemmes mineures plutôt que de la pierre commune, et les membres de l’élite de la société possédaient même leurs Sceaux personnels pour que la preuve d’une livraison soit au-delà de tout soupçon. 

Toutefois, quiconque n’avait pas ce genre de moyens devait utiliser les simples pierres taillées fournies par leur ville à un prix fixé. Elles étaient peu coûteuses, mais il était également possible de s’en servir pour valider de fausses livraisons.

Les cas de messagers prenant les marchandises et échangeant de faux Sceaux contre la récompense étaient récurrents. C’est pourquoi la confiance était tout aussi importante chez un messager. Leur réputation d’honnêteté était un élément clef pour recevoir des contrats individuels, autant sinon plus que leur capacité à livrer des colis rapidement.

La jeune femme se dirigea vers les portes de la ville. Elle était fatiguée. Pas physiquement, mais épuisée par l’effort d’avoir dû interagir socialement. Mais ses foulées s’allongèrent lorsqu’elle sortit de la ville et bientôt elle se retrouva à courir sur une route largement fréquentée qui la ramènerait à sa ville. Elle voulait faire d’autres livraisons aujourd’hui, et elle devait donc être rentrée avant la foule de midi si elle voulait en récupérer une qui soit vraiment avantageuse.

Elle était une messagère. Ou Coursière, comme on les appelait. D’autres noms existaient : Voyageurs, Scelleurs — dérivé des Sceaux qu’ils utilisaient —, Porteurs, ainsi que d’autres titres grossiers que les passants qu’elle croisait utilisaient.

Elle préférait se voir comme une Coursière. Cela voulait littéralement dire « coureuse » et elle en était une, car courir était ce qu’elle aimait le plus. Elle n’avait qu’à récupérer les colis et les donner aux gens, à moins que ce ne soit la mauvaise adresse. Ou que le destinataire ne soit mort. Ce qui était déjà arrivé deux fois.

Tout cela pour dire qu’elle courait, et qu’il y avait une brise sur son visage. À de tels moments, elle pouvait ignorer le fait qu’elle était dans un autre monde, ou qu’elle n’avait aucun moyen de rentrer, ou même que les Gobelins la prenaient de nouveau en chasse. Elle courait, et elle était libre.

Elle était également pieds nus.

Elle s’appelle Ryoka Griffin, un nom qu’elle déteste. Elle aime courir, et ne pas parler aux gens. Parmi ses hobbies, on trouve : le fait de ne pas mentionner son nom, courir, chasser, et boire du café. Et en ce moment précis…

Elle court.

 


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1.16

Traduit par EllieVia

1500 mots

C’était une matinée magnifique. Le ciel était d’un bleu profond et le soleil brillait agréablement.

La porte vola en éclat et le Cheftain Gobelin entra en trombes dans l’auberge. Erin se leva et attrapa une chaise.

Le chef sourit lorsqu’il l’aperçut. Il jeta un oeil à la chaise que tenait Erin et décida qu’elle ne représentait pas une menace. Ses yeux se posèrent sur Erin. Son visage, son corps – elle n’aimait pas la façon dont il la regardait.

Elle hésita. La chaise était entre ses mains.

“Je ne veux pas te faire de m…”

Les Cheftain gobelin rugit et fondit sur Erin. Il s’écrasa sur elle et elle s’effondra en fracassant la table derrière elle. La chaise qu’elle tenait lui échappa des mains. Elle sentit quelque chose craquer à l’intérieur de son corps.

Le Gobelin tira son épée. Erin était étendue au sol, la bouche ouverte comme celle d’un poisson.  Il abaissa son épée sur elle. Elle roula sur sa gauche et l’épée fendit le plancher.

Fuir. Erin se jeta au-dessus d’une autre table et sentit l’épée la manquer de quelques centimètres. Elle prit une chaise et la lança sur le Gobelin. Il l’arrêta de sa main gantelée d’un air méprisant.

La table la séparait. Erin se raidit pour esquiver à droite ou à gauche, mais le Cheftain attrapa la table et la poussa. Il enfonça la lourde table dans le ventre d’Erin comme un boulet de canon puis la renversa.

Un mur de bois s’éleva devant Erin et s’écrasa sur elle. Erin était étendue sous la table, étourdie, lorsqu’elle sentit une main épaisse l’attraper par la cheville et la tirer vers l’extérieur.

Le Gobelin tira Erin de sous la table et lui rit au nez. Elle était toujours sur le dos, les yeux dans le vague. Il enleva son pagne et l’attira vers lui. Erin leva les yeux sur lui et sentit l’horreur battre à grands coups dans sa poitrine. Il se pencha pour lui arracher ses vêtements…

Elle jeta son pied en l’air, en plein dans son entrejambe et de toutes ses forces. 

Le Gobelin attrapa sa jambe sans effort. Il lui sourit de nouveau. De son autre main, il attrapa sa deuxième jambe.

Erin s’assit. Ses jambes étaient coincées, mais pas ses mains. Elle donna un grand coup à la cible pendouillant juste entre les jambes du Gobelin.

Il rugit et la repoussa. Erin partit à la renverse et se releva. Il se cramponnait à ses parties intimes. Elle attrapa une chaise et cette fois-ci n’hésita pas. 

Erin abaissa la chaise sur la tête du Gobelin dans un bruit sourd. Une fois. Deux fois. Puis le Gobelin lui mit un coup de poing.

Elle vit le coup de poing arriver et tenta de le bloquer avec la chaise. Le poing du gobelin s’écrasa à travers le bois et Erin s’étala de nouveau par terre. Elle se releva et sentit sa bouche se remplir de sang.

Le chef rugit et ramassa son épée. Erin se précipita. Elle était près de la cuisine. Elle fonça à l’intérieur et claqua la porte.

Là. La marmite était posée sur le feu et une fumée noire s’échappait du couvercle. Erin en approcha les mains et sentit la chaleur brûlante qui s’en dégageait. Il lui fallait des gants. Il y avait un rouleau à pâtisserie sur le comptoir, mais pas de gants ni de gants de cuisine. Où étaient…

La porte explosa dans un fracas terrible Erin se retourna et vit le chef gobelin. Il fonça sur elle.

Elle se baissa. L’épée siffla dans les airs et frappa le mur. L’impact fit sauter la lame des mains du gobelin alors qu’il hurlait quelque chose d’un ton guttural à Erin. Elle le cogna au visage avec le rouleau à pâtisserie.

Son nez se brisa. Erin le sentit se briser mais elle leva le rouleau à pâtisserie et le frappa de nouveau. Le frapper. Elle devait lui mettre des coups tant qu’il était désarmé. Frapper. Frap…

Shk.

Quelque chose de lourd frappa Erin en plein ventre et la repoussa en arrière. Elle fit quelques pas à reculons avant de retrouver l’équilibre. Quelque chose l’alourdissait cependant. Quelque chose la… Erin baissa les yeux.

Un couteau dépassait de son ventre, juste au-dessus de la taille. Un peu trop à gauche. Ce n’était pas symétrique. Et c’était en elle. En elle.

Erin tira sur le couteau. Il était coincé. Elle tira et sentit… la peau autour de son ventre essayer de partir avec le couteau. Elle contracta ses abdominaux et tira…

Le couteau sortit dans un déchirement terrible de chair. Elle le lâcha et le couteau tomba au sol avec un bruit sourd. Il aurait dû faire un son plus léger.

Du sang. Il coulait de son ventre. Erin posa ses mains sur la plaie et tenta de stopper l’écoulement. Mais elle saignait maintenant, de plus en plus fort. Et le chef gobelin se relevait.

“————!”

Erin n’émit pas de mots distincts. Juste un cri à moitié étouffé. Elle se dirigea vers la cheminée, la douleur la déchirant un peu plus à chaque pas.

La fumée s’échappait de la marmite. Le contenu bouillait et l’éclaboussa. Pas le temps de trouver des gants. Elle attrapa la marmite par les poignées.

Le métal la brûla. Erin cria alors que ses mains se couvraient de cloques et que sa peau brûlait. La douleur était insupportable. Mais elle tint tout de même la marmite et se retourna.

Le chef s’était relevé. Il gronda à travers son nez cassé et son visage ensanglanté. Il avait le couteau de cuisine entre les mains. Il se rua sur elle.

Erin jeta le contenu de la marmite sur le chef gobelin. L’huile bouillante éclaboussa le visage du gobelin et dégoulina sur sa poitrine.

Il hurla. Le chef laissa tomber le couteau de cuisine et hurla tellement fort qu’Erin en fut assourdie. Elle laissa tomber la marmite et s’éloigna de lui.

Elle garda ses mains brûlantes tendues devant elle. Sa peau avait déjà noirci et blanchi par endroits. De grandes cloques se formaient déjà sur sa peau ruinée. Mais ce n’était que la moitié. Seulement la moitié de la douleur qui emplissait le monde.

Le chef gobelin se griffait le visage et s’effondra au sol. Il criait toujours, mais le son qu’il faisait était tellement faible. Elle l’entendit s’étouffer. Crier doucement, à l’agonie. Elle comprenait. Il n’y avait pas assez de son dans le monde pour transmettre toute cette douleur, et crier ne ferait qu’empirer la douleur. Mais il devait quand même crier, donc il le faisait doucement.

Erin s’assit sur le sol et le regarda. Elle saignait. La blessure dans son estomac ne cessait de saigner. Mais ses mains-

Elles n’étaient plus les mêmes. Et l’agonie des deux était trop difficile à supporter. Donc Erin oublia la douleur. Elle fixa le chef étendu par terre. Il fumait.

Les flammes s’éteignaient sur certaines parties de son visage. L’huile bouillante l’avait fait… fondre. Il était toujours en vie. Mais il mourait.

Erin l’entendit respirer. Des éclats courts et aigus de douleur gémissante. Il était étendu sur le sol, immobile. La lutte était finie. Elle avait gagné.

Lentement, Erin se mit à pleurer.

***

La fille est assise dans la cuisine en ruine avec le gobelin. Les deux sont silencieux. L’un est en train de mourir. L’autre est morte à l’intérieur.

Une brume de fumée carbonisée remplit la pièce. L’odeur de chair brûlée sature l’air. Au sol, l’huile se mélange au sang et à la chair.

La fille finit par se mettre en mouvement. Lentement, très lentement, elle se lève. Titubante, comprimant le trou dans son ventre, elle se dirige vers un grand sac en tissu rempli de nourriture. Elle prend un couteau de cuisine traînant par terre.

Elle prend le couteau et découpe le sac. Elle s’évanouit presque de douleur en serrant le bandage sur son ventre. Ses doigts et ses paumes suintent d’un liquide clair et le monde s’assombrit. Mais elle serre fermement le pansement et noue le nœud.

Puis elle regarde en arrière.

Une forme sombre repose sur le sol, brûlante. De la vapeur s’élève de la chair fondue. L’odeur de viande cuite alourdit l’atmosphère. Une forme sombre repose sur le sol. Elle remue légèrement entre deux respirations laborieuses.

La fille va s’asseoir à ses côtés. L’huile est toujours chaude, mais elle n’y accorde pas d’importance. Elle s’assied avec le Gobelin et contemple son visage dévasté. Lui rend-il son regard ? Elle seule le sait.

Une forme sombre repose sur le sol. La fille est assise à ses côtés et attend. Le temps s’écoule, et la respiration finit par s’arrêter.

Un soleil chaleureux brille dans un ciel bleu à travers une fenêtre de la cuisine. Il n’est pas encore midi, et un souffle d’air frais descend des montagnes.

Le monde n’est que silence.

La fille s’adosse à un mur et ferme les yeux. Son sang s’écoule sur le sol.

[Aubergiste Niveau 9 !]

[Compétence – Rixe de taverne Obtenue !]

[Compétence – Lancer infaillible Obtenue !]

 


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1.15

Traduit par EllieVia

4500 mots

Erin se réveilla fatiguée et les yeux larmoyants. Elle se leva machinalement et se rappela qu’elle avait oublié d’aller récolter des fruits bleus. Elle regarda le sac rempli de victuailles qu’elle avait traîné jusqu’à l’auberge. Faire des pâtes ou du pain aurait impliqué trop d’efforts. Alors elle mangea l’une des saucisses à la place.

C’était sec, trop salé et bourré de bouts de nerfs. Erin avait beau mourir de faim, ce n’était clairement pas la meilleure chose qu’elle ait jamais mangée. Mais elle le mangea quand même, mâcha obstinément jusqu’à pouvoir avaler ce petit déjeuner trop gras.

Erin se demanda d’un air sombre combien de temps il faudrait pour que ses dents pourrissent ou que ses gencives commencent à saigner. Cela n’allait pas tarder.

Ce n’était pas une belle journée. Mais au moins, elle avait de la nourriture. Et même si elle n’avait pas d’argent, cela avait le mérite d’être une nouvelle journée.

Une fois rassasiée, Erin se sentit un peu mieux. Du moins, prête à affronter la journée. Elle dressa une liste mentale des tâches à accomplir. Récolter d’abord des fruits bleus. Puis elle préparerait des pâtes, du pain, et enfin elle trouverait un moyen de…

Toc. Toc.

Erin se redressa brusquement. Quelqu’un était à la porte. Pisces, peut-être ? Eh bien, cela rajoutait simplement un élément à la liste des corvées de la journée. Elle allait s’occuper de son cas et ..

Toctoctoctoctoctoc-

Ce n’était pas Pisces. Erin se leva et se dirigea vers la porte. La personne à la porte était beaucoup trop excitée. Trop énergique pour cette heure de la journée.

Erin ouvrit la porte à la volée.

“Qui diable… oh. C’est toi.”

Relc sourit à Erin. Il tenait quelque chose dans une main et sa lance dans l’autre.

“Bonjour, Mademoiselle l’Humaine ! C’est moi, ton garde préféré ! Comment te portes-tu en cette belle matinée ?”

Erin cligna des yeux. Il était beaucoup trop tôt pour devoir regarder un lézard géant lui sourire avec une bouche pleine de dents acérées.

“Bien le bonjour, Miss Erin ! Je viens de régler ton problème de Gobelins pour toi !”

Relc leva triomphalement sa lance. Quelque chose en tomba. Erin cligna des yeux et l’examina. C’était rouge.

Elle leva les yeux et vit du sang rouge dégouliner le long de la lance, goutter le long de la griffe de Relc pour finir sur le sol de son auberge. Relc remarqua le début de flaque et ramena la lance à l’extérieur.

“Désolé, Miss Erin. Tu vois, je viens juste de me débarrasser des Gobelins. Pour m’excuser pour hier. Maintenant qu’ils ne sont plus là, les autres devraient vous laisser tranquille, surtout une fois que j’aurai installé ça autour de l’auberge.”

Relc leva les objets dans sa main gauche. Erin les regarda et vit trois melons. Des melons verts ? Non.

Ses yeux revinrent sur le visage radieux de Relc. Elle examina sa lance ensanglantée. Il était en train de parler, mais les mots devinrent soudain impossibles à comprendre au-dessus du bourdonnement qui se déclencha dans les oreilles d’Erin. Elle regarda son sourire. Puis la lance.

Elle baissa les yeux et vit les têtes.

Il y en avait trois dans les griffes de Relc. Il les avait attrapées par les oreilles et la tension était déjà en train de déchirer la chair morte. Leurs yeux étaient toujours ouverts, leurs expressions figées par la mort tordues dans un rictus d’effroi. Du sang coulait encore de l’une d’elles, droit dans l’orbite d’une autre.

Les yeux d’Erin s’égarèrent plus haut, s’éloignant de la vision des trois têtes. Elle regarda par-dessus l’épaule de Relc. C’était une belle journée dehors. Le soleil brillait. Le ciel était bleu. Il n’y avait pas un nuage dans le ciel.

Elle baissa de nouveau les yeux sur les têtes. Elles étaient toujours là. Elle leva les yeux vers Relc. Il était encore en train de parler, mais il s’arrêta et la regarda d’un air inquiet. Il laissa tomber les têtes par terre. Erin les entendit toutes frapper le plancher de l’auberge avec un bruit mouillé.

Relc leva sa main griffue et la tendit vers elle. La même main que celle avec laquelle il avait tenu les têtes.

Erin vomit. Elle régurgita les saucisses, s’étouffa à moitié et vomit encore.

“….!”

Elle sentit une main l’attraper, l’aider à se relever. Elle la repoussa, et vomit de nouveau.

“——? ——. ————! “

Sa tête tournait. Un son aigu et perçant emplissait ses oreilles.

“——————? ——?”

Erin regarda autour d’elle. Les têtes étaient toujours là. Elle se plia en deux, mais elle n’avait plus rien à vomir. Un peu de bile s’écoula, puis son estomac se contracta encore et encore jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus respirer ou même penser.

“——!”

Enfin, Erin s’arrêta. Elle sentit des mains fortes la soulever et on la fit asseoir sur une chaise à l’intérieur. Le visage inquiet de Relc se pencha sur elle, et elle sentit sa main se poser sur sa tempe. Son regard passa à travers lui pour se poser sur les têtes. Elles étaient étalées sur le sol de l’auberge. Leurs yeux étaient ouverts. Le sang avait séché sur leurs visages.

Erin prit une profonde inspiration. Le monde tournait autour d’elle et elle n’entendait rien. À part la statique. Elle se sentait anesthésiée, comme si elle était en train de se faire opérer. Mais sous ce sentiment d’engourdissement était tapi quelque chose de terrible.

Elle leva les yeux sur Relc. Le Drakéïde était dans tous ses états, et essayait d’attirer son attention. Elle détourna le regard et vit les têtes. Puis elle se mit à crier.

***

Erin sortit avec les trois têtes de gobelin dans les bras. Elles n’étaient pas froides. Elles n’étaient pas chaudes non plus. Elles étaient juste charnues. Lourdes, charnues. Et mortes.

Elle fit attention de ne pas les laisser tomber en marchant. Elle ne savait pas où elle allait, seulement qu’elle devait retrouver les corps. Elle quitta l’auberge et commença à marcher.

Relc n’était plus là. Il est parti un peu plus tôt.

Elle ne se souvenait de rien. Juste de quelques flashs où elle se souvenait d’avoir hurlé à Relc de sortir en balançant des objets. Crié, pleuré, vomi. Et puis elle se souvenait des têtes. De les avoir ramassées là où elles se trouvaient.

Erin marchait avec les têtes dans les bras. Tout se passait trop vite. Elle était à l’intérieur, et l’instant suivant elle était dehors, cherchant les… les…

Les corps.

Les cadavres étaient étendus à découvert. Trois cadavres gisaient dans un lit d’herbe piétinée.

Erin s’arrêta. Elle posa les trois têtes sur le sol et se dirigea vers les corps. Ils racontaient une histoire. Elle n’était pas versée dans la médecine légiste ou quoi que ce soit, mais elle pouvait quand même comprendre ce qu’il s’était passé. Le sang était encore humide sur le sol.

Deux étaient morts… là-bas. Ils n’avaient pas couru. Relc les avait probablement abattus en un quelques secondes. Le dernier avait fui, mais pas loin. Il n’avait fait que quelques pas avant qu’une lance ne lui transperce le dos. Plusieurs fois.

Erin regarda les trous sanglants et ne ressentit aucune émotion. Non. Ce n’était pas vrai. Elle ressentit quelque chose. Elle ressentit tellement d’émotions qu’elle ne put même plus penser. Mais elles étaient enfouies au plus profond de son cœur. À ce moment-là, elle était tellement engourdie qu’elle avait l’impression d’être au milieu d’un monde silencieux.

Elle posa les têtes à côté des corps. Laquelle appartenait à qui ? Elle regarda les déchirures autour de chaque tête. Elle pouvait facilement en placer une, mais les deux autres étaient trop similaires. Elle dut faire rouler les corps pour vérifier l’autre côté.

La lumière du soleil avait maintenu leurs corps chauds. Mais ils restaient froids, et les mains d’Erin l’étaient encore plus. Elle les retourna avec précaution et apprit quelque chose d’autre.

C’était tous les deux des femmes. C’était difficile à dire en ne regardant que le visage, mais leurs corps étaient définitivement femelles.

Erin retourna le dernier corps. Celui qui avait fui était un homme, et il était plus âgé. Ce n’était pas seulement qu’il était plus grand : sa pilosité était plus développée, ses muscles aussi et… il ne ressemblait pas à un enfant. Les deux autres, si.

La température baissa encore. Erin se mit à trembler. Elle s’éloigna en rampant pour vomir, mais se rendit compte qu’elle en était incapable. Alors, elle retourna sur la scène du crime et regarda les trois corps.

Leur sang avait cessé de couler depuis longtemps. Mais l’herbe était toujours rouge. Ils étaient odorants, mais ne sentaient que la saleté et le sang. Pas encore la pourriture et la mort. Pas encore. Mais ils pourrissaient. Et au soleil, ils se mettraient bientôt à puer.

Erin le savait. Elle ne le savait pas, mais elle avait lu quelque chose à ce sujet. Ils pourriraient et attireraient les insectes. C’était déjà le cas.

Une mouche verte atterrit sur l’un des corps. Erin le regarda. Une mouche corrosive. Elle déploya ses ailes et se mit à courir sur le corps du Gobelin.

Elle l’écrasa. L’insecte explosa au contact de sa main, et l’acide brûla sa paume. Erin frotta sa main dans l’herbe et gratta sa peau avec de la terre. Cette dernière était rouge et à vif, mais elle s’en désintéressa dès que le plus gros des brûlures fut passé.

Il fallait qu’elle enterre les corps. Ou ils pourriraient.

Erin retourna dans l’auberge. Elle sortit quelques minutes plus tard, armée d’une longue cuillère en bois. Elle servait probablement à touiller dans l’une des grandes marmites. Cela ferait l’affaire.

Elle commença à creuser l’herbe près des cadavres.  C’était difficile. Elle devait arracher l’herbe avant de pouvoir creuser le sol. Et même alors, la terre était tassée et difficile à creuser. Mais elle s’acharna, et son tas de terre s’agrandit alors qu’elle creusait de plus en plus profond.

Erin creusa et un tas de terre s’accumula à côté d’elle. Lentement. Comme pour faire un château de sable à la plage. Le trou était petit et à chaque fois qu’elle essayait de retirer un peu plus de terre, les murs s’effondraient. Mais elle continua de creuser. Et le tas de terre s’agrandit.

À un moment donné, la cuillère en bois se brisa. Erin utilisa ses mains. Au bout d’un moment, elles se mirent à saigner. Elle continua de creuser.

Enfin, le trou fut assez grand. Erin ramassa le premier corps et le déposa dans la tombe. Il rentrait. La taille était plus que convenable. Le trou qu’elle avait creusé était assez grand pour un humain, c’est-à-dire plus que suffisant pour étendre les trois Gobelins à l’intérieur.

C’étaient des créatures tellement petites. Erin se demanda vaguement si elle devrait creuser deux autres tombes.

Elle baissa les yeux sur ses mains ensanglantées et ses ongles cassés. Non.

Elle plaça le deuxième corps dans la tombe, à côté du premier. Elle dut déposer le troisième corps par-dessus. Puis ce fut au tour des têtes. Elle plaça chacune près du corps correspondant. Une, puis deux.

Alors qu’Erin ramassait la troisième tête, elle entendit un bruit. Elle se retourna et vit le gobelin debout dans les hautes herbes.

Le gobelin était petit et déguenillé. Il portait un pagne gris taché et quelques lambeaux  de tissus attachés à la poitrine. Il tenait un petit couteau. Il regarda Erin et la tête qu’elle tenait entre ses mains.

Erin marqua une pause. Sa tête était toujours remplie d’électricité statique, mais sa bouche essaya de dire quelque chose. Trop tard. Le gobelin se précipita sur elle, criant sauvagement et agitant sa dague.

Erin recula. Elle tenait la tête du dernier gobelin dans une main et attendait que l’autre gobelin soit près d’elle. Elle sauta sur le côté au dernier moment et le petit gobelin la manqua. Il se retourna, agitant toujours son arme.

Elle gifla le gobelin de toutes ses forces. Sa main craqua lorsqu’elle envoya le gobelin s’écrouler au sol et il lâcha sa dague. Il gémit et s’éloigna d’Erin en courant pour ramasser son arme dans l’herbe.

Erin observait toujours le Gobelin qui attrapait le poignard et se tournait pour lui faire face. Il était petit. Tellement petit. Comme un enfant. D’ailleurs, c’était un enfant. Mais ses yeux étaient remplis d’une envie de meurtre.

L’esprit d’Erin était encore embrumé. Mais alors que le Gobelin la fixait dans un silence tendu, elle comprit ce qu’elle voulait lui dire. Cela lui vint lorsqu’elle vit les larmes couler des yeux rouges du Gobelin.

“Je ne veux pas te tuer.”

Il se précipita sur elle. Erin s’avança et lui donna un coup de pied dans l’estomac. Elle avait déjà fait ça à un garçon quand elle était enfant.

Le Gobelin vomit puis se roula en une petite boule de douleur. Il essaya de s’éloigner d’elle, mais il avait trop mal. Erin regarda le Gobelin étendu au sol. Elle tenait toujours la tête de l’autre Gobelin dans les mains.

Il aurait fallu le tuer. Elle gagnerait de l’expérience, et ce serait un Gobelin de moins qui aurait envie de la tuer. Si elle le laissait vivre, il appellerait des renforts. Elle ne serait jamais en sécurité tant qu’il y aurait des Gobelins dans la région. C’étaient des monstres dangereux. Ils la tueraient dans son sommeil et la mangeraient, ou pire s’ils le pouvaient. C’était une question de survie. Elle le regretterait si elle le laissait vivre. C’était sa vie ou la sienne. Elle devait…

Les pensées s’entrechoquaient sous le crâne d’Erin pendant qu’elle regardait le Gobelin agité de tremblements. Il était petit. Elle se retourna et plaça la dernière tête avec les autres corps.

Quand elle se retourna, le Gobelin avait disparu.

Erin plaça la dernière tête correctement dans la tombe et la regarda. Puis elle commença lentement à combler la tombe.

Le processus fut long. Erin tassa bien la terre et fit un tas avec ce qu’il restait. Elle appuya sur la terre et essaya de la rendre aussi ferme que possible. Puis elle fixa le tas inégal de terre retournée.

Erin joignit les mains et inclina la tête. Puis elle laissa retomber ses mains. Elle n’avait rien à dire. Alors elle tapota un dernier monticule de terre pour le lisser et s’assit dans l’herbe.

Le soleil brillait. Le ciel était d’un bleu profond, très profond. Elle ne pleura pas. Elle se contenta de s’asseoir et de se balancer d’avant en arrière alors qu’elle regardait la tombe qu’elle avait creusée.

Erin ne cligna pas des yeux.

***

Elle leva les yeux quand elle entendit la corne.

Ce n’était pas l’écho grave et grondant de la corne d’un héraut d’une armée de l’ombre. Et ce n’était pas non plus un appel claironnant à la victoire trompetant sur un sombre champ de bataille. On aurait juste dit une corne. Mais c’était bruyant. Et cela la fit lever les yeux.

Un gobelin se tenait sur une colline et la fixait. Il était presque aussi grand qu’Erin. C’est-à-dire qu’il était donc très grand pour un gobelin, mais quand même petit. Son corps était large et musclé. Sa tête était coiffée d’un casque rouillé et il portait des morceaux d’armure métallique dépareillés.

Même sans qu’on le lui ait dit, Erin sut qu’il était le chef de la tribu gobeline de la région. Et elle savait aussi qu’il était en quête de sang.

Son sang.

Elle se leva lentement. Ce n’était pas parce qu’elle était terrifiée, c’était qu’elle était toujours sous le choc. Elle s’éloigna lentement alors que le chef gobelin attrapait quelque chose derrière son dos.

Son esprit s’embrouilla. L’auberge? Ou la ville? Elle pourrait probablement le distancer, mais les autres gobelins n’étaient forcément pas loin. Alors où étaient-ils?

Erin était tellement occupée à chercher les autres Gobelins prêts à la prendre en revers qu’elle ne réalisa que le Cheftain était armé d’un arc que lorsqu’il tira sa première flèche.

Cette dernière se planta dans l’herbe près de ses pieds et vibra dans la terre tassée. Erin fit volte-face et se mit à courir.

 Une seconde flèche la manqua aussi. La troisième également. Mais la quatrième passa juste dans l’espace entre ses bras pliés dans l’effort.

Erin franchit une petite colline et se jeta immédiatement au sol. Elle tomba dans l’herbe tête la première et glissa douloureusement, mais la cinquième flèche traversa l’air là où son dos avait été une seconde plus tôt. Elle se remit sur ses pieds pour recommencer à courir et vit les Gobelins.

Ils se dressaient ensemble, un mur silencieux composé de petits corps et d’yeux rouges et scrutateurs. Ils la regardaient. Ils n’étaient pas nombreux, finalement. Quarante ? Moins ? Si on lui avait demandé, elle aurait dit que c’était une petite tribu. Plus petite que celle qu’elle avait fuie lors du premier jour. Mais ils étaient tous armés. Elle attendit qu’ils lancent la charge. Elle attendit sa mort.

Aucun d’entre eux ne bougea. Ils la regardaient, c’était tout. Ils ne faisaient aucun bruit.

L’un deux tremblait. Il se tenait près d’Erin et serrait un couteau dans sa main. Un petit couteau, serré dans une petite main. Erin le reconnut.

C’était le Gobelin en guenilles de tout à l’heure. Il regarda Erin et elle lui rendit son regard. Elle voyait bien qu’il voulait la découper en lambeaux, l’attaquer. Mais il n’en fit rien.

Une corne sonna de l’autre côté de la colline. Erin leva les yeux. Le
Cheftain Gobelin. C’était lui qui orchestrait tout ça. 

Alors. Elle rendit son regard au Gobelin. Il planta son regard dans ses yeux, plein de haine et de promesses de mort. Des yeux cramoisis. Ils n’étaient pas naturels, monstrueux.

Mais tout de même. Ils étaient beaucoup trop humains.

“Je ne les ai pas tués.”, déclara Erin à voix haute. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il la comprenne, mais le gobelin sursauta, surpris. Il la regarda, cherchant à déceler la vérité.

“Ce n’est pas moi qui les ai tués, mais ça n’a pas d’importance.”

Il la regarda dans les yeux. Erin lui rendit fermement son regard. Puis elle se redressa et se mit à courir.

***

Ils ne criaient pas en la suivant. C’était ça le plus effrayant. La tribu des Gobelins suivait rapidement Erin, courant aussi vite que possible pour soutenir son rythme, mais sans prendre la peine d’essayer de l’arrêter. Ils la suivaient, tout simplement.

Peut-être qu’ils l’auraient arrêtée si elle avait fui vers la ville. Mais Erin se dirigeait vers son auberge et ils la laissaient donc partir. Ils n’étaient pas là pour la tuer. Juste pour l’observer.

Sans qu’on le lui ait dit, Erin savait que c’était différent. S’il s’agissait juste d’un combat ou s’ils avaient voulu la tuer, ils lui seraient tombés dessus en masse et l’auraient déchiquetée en un instant. Mais ceci… c’était une traque.

Donc le Cheftain était le chasseur.

Peut-être pensait-il qu’elle était une proie facile. Il avait raison. Et il était probablement capable de deviner que ce n’était pas Erin qui avait tué les Gobelins. Cela n’avait pas d’importance. Le sang appelait le sang. La plus ancienne des vengeances.

Erin réfléchissait à tout cela alors qu’elle franchissait la porte de son auberge et la barrait avec autant de tables et de chaises qu’elle le pouvait. Elle sut qu’il s’agissait d’une vengeance pendant qu’elle cherchait un couteau de cuisine, une poêle à frire, n’importe quoi qui puisse lui permettre de se défendre. Et elle le sut également lorsqu’elle s’assit sur une chaise et goûta la mort qui flottait dans l’air.

Elle renonça à chercher une arme. Elle s’assit et regarda la porte. Elle entendit un appel de la corne du Chefain au loin, puis un autre, et tous ceux qui suivirent au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, lentement.

Il n’y avait nulle part où s’enfuir. Et elle ne pouvait pas se battre.

Cela l’avait frappée pendant qu’elle tenait le couteau de cuisine bien aiguisé. Elle avait essayé de s’imaginer faisant face au Gobelin en armure, évitant les coups ; les contrant en fouettant l’air puis plongeant son couteau…

Non. C’était impossible. 

Elle n’était pas une guerrière.

Erin s’assit sur la chaise en bois et la sentit frotter contre son t-shirt. Elle sentit ses mains, glissantes de sueur. Elle avait un goût de sang dans la bouche parce qu’elle avait trop couru et chaque souffle lui déchirait les poumons. Elle était en vie. Elle savait qu’elle ne rêvait pas.

Et elle savait qu’elle allait mourir.

“Échec et mat.”

Elle s’accouda à la table et fixa la porte. Elle s’aperçut soudain que c’était la première fois qu’elle s’asseyait et avait vraiment l’occasion  de réfléchir.  Parce que c’était, dans un sens, la première fois depuis son arrivée qu’elle ne réagissait pas aveuglément aux événements.

Peut-être que si elle avait plus pris le temps de réfléchir, plus tôt, elle n’en serait jamais arrivée là. Si elle avait réfléchi à l’avance, elle aurait demandé à Klbkch et Relc combien coûtait la nourriture. Si elle avait réfléchi une seconde, elle aurait compris ce que voulait dire Relc quand il avait proposé de s’occuper des Gobelins la veille. Peut-être alors l’aurait-elle empêché de les tuer.

Mais elle ne l’avait pas fait. Et voilà où cela l’avait menée. L’attente était une chose terrible. Donc Erin continua de réfléchir.

“Je réfléchis. Je vais réfléchir, pour une fois, à tout ça.”

Erin ferma les yeux et tenta d’ignorer la corne qui sonnait au loin. Le Cheftain Gobelin n’avançait pas très vite. Il se contentait probablement de marcher, économisant son énergie pour le moment fatidique. Il n’était pas pressé.

Erin réfléchit aux Gobelins. Elle songea au fait qu’ils avaient des dirigeants, et que ces derniers devaient défendre leur peuple. Peut-être qu’il ne s’en souciait pas. Et peut-être que, s’ils avaient été tués par un garde ou un aventurier qui serait ensuite rentré dans la forteresse de pierre, il n’aurait pas essayé de les venger. Mais une humaine stupide vivant seule au milieu de nulle part ?

Elle pensa au petit gobelin qui l’avait attaquée. Elle pensa à la famille de manière générale et à ses parents. Elle pensa au chef gobelin, à ses épées et à son armure.

Elle pensa à ce qui lui arriverait quand il la rattraperait.

“Échec et mat.”

Chuchota Erin de nouveau. Ça ne semblait pas exact, pour une raison inconnue.

Échec et mat. Elle avait entendu ce mot tellement de fois. Mais alors, ce n’était qu’un jeu. Là, c’était la réalité. Et elle… elle ne voulait pas mourir.

Et elle allait mourir. C’était ce qu’elle attendait, assise ici. Erin entendit la corne retentir de nouveau au loin et sut que la mort allait arriver. Donc. Échec et mat.

Vraiment ? Elle se devait de le demander. Erin se murmura une simple question.

“C’est échec et mat ou juste un échec ?”

Erin regarda ses mains. Elle ne les avait pas lavées. Et elle pouvait encore sentir les têtes, moites et sans vie, dans ses paumes. Elle resta assise au milieu de l’auberge et plongea son regard dans les yeux sans vie des trois têtes gobelines.

Un appel de corne. Elle leva les yeux vers la porte. Le grand gobelin avançait lentement. Il voulait qu’elle ait peur. Qu’elle désespère. Qu’elle panique. Il n’y avait nulle part où aller. Et si les seules options étaient de se battre et tuer ou de courir et mourir …

“Si seulement ce n’était que mourir…”

Erin murmura ces mots. Elle ne voulait pas mourir. Ce n’était pas vraiment mieux que le reste. Mais donc. Il lui fallait se battre. Et tuer.

“Je ne peux pas.”

Mais elle le devait. Erin se mit à trembler. Ce n’était pas une option. C’était le choix le plus clair qu’elle ait jamais eu. Elle pouvait fuir et se cacher, et peut-être, peut-être qu’elle s’en sortirait. Mais s’il l’attrapait, elle devrait se battre et gagner. Et pour gagner, elle devrait le tuer. C’était soit le tuer, soit abandonner.

“Échec et mat.”

Avait-elle de la fièvre ? Le corps d’Erin oscillait entre une chaleur brûlante et un froid apathique. Elle tremblait, mais une partie d’elle-même était calme. Si terriblement calme.

Erin ferma les yeux. Elle savait. Mais elle ne voulait pas. Sa bouche était sèche, mais elle se força à parler.

“Oh, Père qui êtes aux Cieux…”

Sa voix s’estompa. Elle avait oublié le reste depuis longtemps. Et il n’y avait pas de Dieu pour l’écouter. Aucun dieu miséricordieux ne pardonnerait ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Erin ouvrit les yeux. Elle fixa ses mains et réfléchit. Qui était son ennemi?

Un gobelin. Pas n’importe quel gobelin, mais un chef. Un chef de leur espèce. Fort ? Oui. Plus fort que les autres, et de loin. Mais peut-être pas beaucoup plus fort qu’un homme normal. Si elle le surpassait au combat…

Mais il avait une épée. Et un arc et des flèches. Et il avait des niveaux, peu importe ce que cela voulait dire. Il était un meilleur combattant. Et qu’avait Erin?

Elle regarda autour d’elle. Elle avait une auberge. Elle avait une cuisine, les quelques fournitures qu’elle avait achetées à la ville. Elle avait une salle commune remplie de tables et de chaises, un étage sans issue hormis les fenêtres. Elle avait des couteaux de cuisine, des casseroles, des poêles et une cheminée vide.

Erin ferma les yeux et réfléchit. Elle les ouvrit une minute plus tard, déterminée.

Une corne retentit quelque part au loin. Erin l’écouta et entendit les battements de son cœur noyer ses pensées. Elle savait ce qu’elle devait faire.

Erin se leva. Ses oreilles tintaient, mais le monde était silencieux. Elle se sentait comme dans un rêve, traversant un monde endormi. Même l’appel de la corne était assourdi. À ce moment, elle avait l’impression qu’elle disposait de tout le temps du monde.

Lentement, Erin entra dans la cuisine. Elle se pencha et fouilla dans le sac de nourriture qu’elle avait acheté. C’était là. Serait-ce suffisant ? Il le faudrait bien.

Erin regarda autour d’elle et ramassa la marmite en fonte. Elle était petite. Mais ça irait.

Toutes les braises de la cheminée étaient devenues cendres depuis longtemps. Erin y jeta quelques morceaux de bois et se pencha doucement pour produire des étincelles. C’était lent. La corne ne cessait de sonner, de plus en plus fort. Mais ses mains ne faiblirent pas. Elle rêvait toujours.

Enfin, le feu démarra. Erin alimenta le petit brasier et il s’agrandit, lentement. Elle ajouta assez de bois et posa la marmite sur le feu. Ce serait bientôt chaud. Le feu grandissait.

C’était tout. Erin remplit la marmite à ras bord avec l’élément qu’elle avait choisi dans le sac de courses. Puis elle posa le couvercle. Lentement, elle retourna dans la salle commune. Et s’assit.

La corne sonna. Juste devant l’auberge. Erin entendait maintenant les pas lourds du Gobelin, les raclements de son armure de métal. Il s’arrêta devant la porte.

Thump.

La porte s’ébranla. Les chaises et les tables qui la bloquaient tremblèrent sous l’impact. Erin regarda la porte.

“Ce n’est qu’un jeu.”, murmura-t-elle. Elle n’y croyait pas.

Thump.

La porte tout entière trembla. Erin vit le bois se fendre autour des charnières. Elle attendit. La mort s’engouffrait dans ses os. Mais elle ne savait pas s’il s’agissait de la sienne.

“«Chevalier en D4. Pion en E3. “

Elle ne voulait pas mourir. Mais ce serait peut-être mieux que ce qui l’attendait. Erin ferma les yeux.

“Je déteste vraiment ce monde.”

La porte explosa et le Cheftain Gobelin entra dans l’auberge.

 


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1.12

Traduit par EllieVia

2500 mots

Erin se réveilla. D’habitude, c’était une véritable épreuve. Aujourd’hui, cependant, c’était relativement facile. Parce que la véritable épreuve arriverait plus tard.

Par exemple, juste après le petit déjeuner. Erin jeta un regard sombre aux trois fruits ratatinés sur son assiette. Elle mordit dans le premier à titre expérimental et mâcha. Puis mâcha. Et mâcha encore.

“Caoutchouteux.”

Les fruits étaient incroyablement difficiles à mâcher. Leur peau était si difficile à entamer qu’Erin avait l’impression de manger du caoutchouc. Non pas qu’elle ait retenté l’expérience après avoir dépassé le stade bébé.

De plus, ils avaient perdu leur délicieux jus et avaient un goût… eh bien, fade. Ils n’étaient plus du tout sucrés et toutes ces caractéristiques rassemblées les rendaient vraiment peu appétissants, mais Erin les mangea tout de même, pour la bonne raison qu’elle n’avait rien d’autre à manger.

“Je suis mal. Yup, yup.”

Ce n’était pas tant qu’elle était à court de fruits bleus. Il y en avait encore des tas – enfin, quelques-uns – dans le verger, prêts à être récoltés. Mais, comme toute ressource alimentaire, ils étaient en quantité limitée. En outre, ce n’était pas tellement le problème. C’était plutôt pour ses clients.

“Qui veut manger des fruits bleus toute la journée ? Levez la main si ça vous tente !”

Erin ne leva pas la main. Certes, ils étaient savoureux et elle pouvait en faire un bon jus de fruits, mais en y réfléchissant, ce n’étaient que des fruits.

“Et je veux de la nourriture. De la vraie nourriture, pas juste des fruits. Je veux des pâtes ! Des pizzas, des sodas, de la salade et de la crème glacée – non, oubliez la crème glacée. Je veux de la viande. Ou du poisson qui ne mord pas ! Je veux des sushis, des cheeseburgers avec des frites, du pain grillé, des gaufres… des céréales…”

Erin serra son estomac en train de gargouiller en tentant de retenir ses larmes.

“Je me contenterais même de ramens instantanés. C’est trop demander ?”

Oui. Elle le savait bien. Mais le simple fait de songer aux plats dont elle avait l’habitude lui fit monter les larmes aux yeux. Elle pouvait gérer les Gobelins. Elle pouvait gérer un Nécromancien malpoli et combattre des Crabroches maléfiques. Elle pouvait même supporter les poissons géants qui essayaient de la grignoter quand elle prenait son bain. Mais elle voulait de la nourriture.

“Et de toute façon, il faut que je nourrisse mes invités.”

Erin hocha la tête. Le calcul était simple. Pas de nourriture = pas d’invités = pas d’argent = mourir de faim. Mais le petit détail qui n’apparaissait pas dans l’équation était que pour avoir de la nourriture, elle allait avoir besoin de dépenser l’argent. Et elle n’avait aucun moyen de le faire.

“Sauf si je descends en ville.”

Ça, c’était une idée. Elle n’était pas sûre qu’elle soit bonne, mais c’était la seule option dont elle disposait. La ville. Erin se dirigea vers la fenêtre. Relc lui avait indiqué où elle se trouvait…

“Là.”

Erin regarda les petits bâtiments à l’horizon. Cela lui semblait tellement loin. Mais bon, tout paraissait loin vu d’ici. Et à la ville, elle pourrait se procurer des choses. Comme de la nourriture. Et des vêtements. Et des brosses à dents. Et pourtant, Erin ne voulait pas y aller.

“C’est loin. Mais il faut que j’y aille. Peut-être… ? Oui… non. Non ? Si. J’ai besoin d’aliments. Et je dois nourrir mes invités. C’est mon rôle en tant qu’aubergiste.”

Elle marqua une pause et réfléchit à cette dernière déclaration. Erin se laissa tomber sur une chaise et prit sa tête entre ses mains.

“Est-ce que je suis une aubergiste ? Est-ce que c’est ce en quoi ce monde me transforme ?”

Peut-être. C’était probablement dû à sa classe d’[Aubergiste].

“Je vais bientôt me retrouver avec une énorme bedaine et me mettre à transporter des tonneaux de bière. C’est ce que font les aubergistes, non ?”

Elle ne savait pas vraiment. Ce n’était pas comme si elle avait particulièrement prêté attention à l’histoire médiévale, ou du moins à ce qui en était vraiment historique.

“Ils n’ont jamais mentionné les aubergistes dans la Légende du Roi Arthur. Ou du moins, il ne me semble pas ?”

Elle ne pouvait pas vérifier sur Google donc elle laissa tomber cette question. Pour être honnête, elle était juste en train d’essayer de se distraire. Le problème était plutôt simple.

“Aller en ville ou non, telle est la question. De toute manière, ce n’est même pas une question. J’ai besoin d’aller en ville. Je dois aller… faire du shopping.”

Faire du shopping. Ce serait bien plus sympathique si elle ne devait pas essayer d’acheter de quoi survivre. Mais cela devait être fait. Elle le savait.

Tout de même. Erin n’était vraiment, vraiment pas fan de l’idée. Elle aimait les gens, vraiment. Mais elle n’appréciait guère l’idée de 1) quitter la sécurité de son auberge et 2) se rendre dans une ville lointaine probablement remplie de lézards géants et d’insectes bipèdes.

Elle regarda d’un air sombre les trois noyaux de fruits bleus collés au fond de son assiette. Elle sortit et les jeta aussi loin que possible. Le jus laissa ses mains inconfortablement collantes, mais elle ne pouvait pas y faire grand-chose.

“Je suppose que je dois retourner au ruisseau. Qui aurait cru que se laver les mains pouvait être une telle corvée ?’

Grommela Erin en s’essuyant les mains sur son jean. Puis elle s’arrêta. Et baissa les yeux.

Son jean était bleu. Le jus de fruits bleus aussi. Mais contre toute attente, la tache bleue était toujours bien visible sur ses vêtements. Ou plutôt les taches de fruits bleus. Et elles ne s’étalaient pas juste sur son pantalon.

Le t-shirt d’Erin était un joli t-shirt industriel pourvu d’un charmant logo d’entreprise à l’avant et dans le dos. Vraiment, elle n’y était pas plus attachée que ça, mais il était parfait pour traîner à la maison. Ce n’était pas son vêtement préféré.

… Ce qui n’était pas plus mal, parce qu’Erin aurait pleuré si elle avait infligé les mêmes dégâts à un t-shirt qu’elle aimait vraiment. Elle baissa les yeux sur les taches bleues qui recouvraient son haut. Elle tâta les accrocs et les coupures sur les manches et les marques de brûlure sur un côté. Elle souleva le haut, renifla un coup, et eut un haut-le-corps.

Pour la première fois, Erin se passa les mains dans les cheveux. Elle leva la main et sentit son haleine. Elle songea à la dernière fois où elle s’était brossé les dents, lavée ou même avait utilisé du savon. Puis elle tenta de verrouiller son esprit à double tour.

“Eh bien, voilà qui règle la question. Je descends en ville.”

***

Erin marchait dans l’herbe. Elle aurait aimé avoir une belle route à suivre, mais pour une raison qu’elle ignorait, personne ne s’était donné la peine de paver une route à travers les étendues sauvages désertes. Maintenant qu’elle y repensait, elle se demanda encore une fois pourquoi qui que ce soit construirait une auberge au milieu de nulle part.

Peut-être que la région avait eu plus d’habitants par le passé. Ou alors c’était juste un idiot qui pensait percer dans un marché inexploité. Quoi qu’il en soit, Erin était reconnaissante que l’auberge existe.

“Mais pourquoi faut-il qu’elle soit si loin de tout ?”

Erin descendit la pente. C’était au moins ça. L’auberge était située sur une pente. Pas sur une colline escarpée, mais sur une très longue pente qui descendait progressivement sous ses pas. C’était agréable, jusqu’au moment où Erin se retourna et réalisa qu’elle devrait tout remonter bientôt.

“Wow. C’est une sacrée grande colline.”

Elle apprécia la scène pendant un petit moment et se remit à marcher. Relc et Klbkch avaient dit que le trajet à la ville était une promenade d’une vingtaine de minutes.

“Ils m’ont menti.”

Ou alors ils marchaient vraiment très vite. Erin pouvait déjà voir la ville que Klbkch avait appelée Liscor se découper au loin. C’était encore petit à l’horizon, mais étant donné à quel point cela semblait proche à présent, et si l’on multipliait cela par sa vitesse à pied et étant donné son énergie, si on la divisait par sa volonté de continuer à marcher…

“Une demi-heure. Non, probablement une heure. Oui, ça doit être ça.”

Erin poussa un soupir. Mais c’était bien de faire du sport, non ? Ça forgeait le caractère. Ou un truc du genre.

“Bon, de quoi ai-je besoin ?”

Elle fit un rapide inventaire. Ses pièces étaient en sécurité au fond d’une poche. Elles étaient lourdes. Elle était habillée, ce qui était plutôt important, et elle ressemblait à… eh bien, à une sans-abri. Mais elle avait de l’argent. Alors, que devrait-elle acheter avec ?

“Hum. Des vêtements. Oui. Et du savon. Et une brosse à dents, s’ils en ont. Et du dentifrice… qu’ils n’ont probablement pas. Mais quelque chose d’approchant. Et j’ai aussi besoin de nourriture, évidemment, de savon, de serviettes, de lessi… d’encore plus de savon, et d’un peigne.”

Erin fit encore quelques pas.

“Et une épée. J’ai besoin d’une épée. Et un bouclier ? Une armure ? Et, euh, du spray anti-Gobelins ? Oh, et des livres ! Des tonnes de livres. Des cartes, des livres d’histoire… est-ce que je pourrai les lire ? Bah, Relc et Klbkch parlent anglais. Ce qui est bizarre, d’ailleurs. Et j’ai besoin de bandages, d’une aiguille à coudre, de quelqu’un pour m’apprendre à coudre…”

Erin tâtonna dans sa poche. Les pièces sonnèrent. Elle aurait aimé qu’il y en ait plus.

“Et il me faut dévaliser une banque.”

D’accord. Erin rembobina le fil de ses pensées.

“Qu’est-ce qui est indispensable ?”

Elle compta sur ses doigts.

“Des vêtements. De la nourriture. Une brosse à dents. Du savon. Et une lampe.”

Elle claqua des doigts.

“Bien sûr. Une lampe ! Et une épée.”

Elle remit la main dans sa poche.

“… Juste la lampe.”

***

“De l’herbe, de l’herbe, je ne vois que de l’herbe.”

Chantonna Erin en marchant. Elle n’était pas sûre que ce soit une véritable mélodie, mais au moins la chanson lui tenait compagnie.

“Les chevaux mangent de l’herbe, mais moi ça ira, donc je vais à la ville de ce pas. Ou je mourrai de faim ! Et quand je serai là-bas je mangerai une dizaine de poires et.. Hey, est-ce que c’est un Gobelin ?”

Erin tourna subitement la tête et la petite tête disparut. Elle plissa les yeux. Oui, c’était définitivement un Gobelin. Il se cachait derrière une petite colline à sa gauche, mais elle était sûre qu’il était toujours là. À l’observer.

Bien. Elle était suivie. Erin ne savait pas trop quoi en penser. Elle regarda autour d’elle et deux autres têtes disparurent alors que leurs propriétaires plongeaient à l’abri. Ils n’avaient pas l’air d’essayer de la prendre en embuscade, ils étaient juste en train de la suivre.

“Hum.”

Erin se pencha et fouilla l’herbe. Elle finit par trouver ce qu’elle cherchait. Elle attendit que l’un des Gobelins décide qu’elle les avait oubliés et redresse la tête. Puis elle se retourna et cria :

“Ouste !”

Elle jeta la pierre. Qui rata la tête du Gobelin. Et la colline. Mais le nabot vert avait compris le message et disparut en un instant. Erin soupira.

“Super. On dirait des cafards. Des gros cafards verts et démoniaques. Avec des dents. Et des couteaux tranchants. Et des yeux rouges.”

Elle se demanda ce qu’il fallait faire. Puis elle réfléchit plutôt à ce qu’elle pouvait faire.

Erin continua de marcher.

La ville s’élargissait au fur et à mesure qu’elle avançait. Elle se disait qu’elle devrait cesser de grandir au bout d’un moment, mais bientôt, elle aperçut les bâtiments. Ce n’étaient certes pas des gratte-ciel, mais ils étaient plus hauts que les édifices médiévaux n’avaient le droit de l’être, selon elle. Mais la ville était encore loin. Donc elle continua sa route.

Et on la surveillait. De multiples paires d’yeux observaient alors que la jeune femme cheminait dans l’herbe. Elles guettaient des signes de faiblesse, ou n’importe quoi qu’elles puissent exploiter. Elle était surveillée. De temps en temps, elle se retournait et jetait un caillou.

***

Quand Erin arriva aux portes de la ville, elle les regarda, bouche bée, pendant un moment.

“Ça, c’est un sacré mur.”

C’était un énorme euphémisme. Le mur était haut. C’est-à-dire, haut même selon les normes des murs. Il faisait près de douze mètres de haut, ce qui était parfaitement normal pour ce genre de mur, même si Erin n’avait aucun moyen de le savoir. Elle n’avait également aucun moyen de savoir qu’il faisait douze mètres de haut non plus. Elle se dit simplement qu’il était grand.

Mais ce qui était étonnant au sujet de ce mur, et qu’Erin avait remarqué, c’était la façon dont les portes avaient été construites. Ce n’était pas une grille de fer ou une herse pourvue de trous bien pratiques pour assaillir l’ennemi et lui tirer dessus, non, mais bien deux solides portes de métal. Erin se demanda pourquoi, étant donné qu’elles avaient l’air robustes et difficiles à ouvrir. C’était le cas, et pour une bonne raison. Mais elle n’allait découvrir celle-ci que bien plus tard.

Erin s’avança devant la grande porte. Il n’y avait pas de circulation pour le moment, ce qui la fit se sentir très seule et très insignifiante alors qu’elle s’en approchait. Elle s’arrêta en voyant le garde.

Il était grand. Il avait une armure. C’était également un Drakéide, avec des écailles jaunes plutôt que vertes. Jaune pâle, qui faisait penser Erin à du pop-corn. Il avait également un cimeterre et c’est donc avec appréhension qu’elle s’approcha de lui.

“… Salut.”

Le Drakéide baissa les yeux sur Erin puis se remit à regarder au loin. Il tenait une lance d’un côté et un bouclier de métal au bras gauche. Comme il n’utilisait ni l’un ni l’autre pour la tabasser, Erin décida que c’était un bon début.

“Hum. Beau temps, pas vrai ?”

Encore une fois, le garde lui jeta un coup d’œil. Et là encore, il ne répondit pas.

“… Évidemment. C’est juste que je suis nouvelle ici. Et je suis une Humaine. Enchantée. Je m’appelle Erin. Je, euh, connais un autre gars qui bosse avec vous. Relc ? Et Klb… Klb… le mec insecte ? Donc voilà. Ils me connaissent. Je ne suis pas dangereuse. Et, euh, j’ai vu des gobelins dans le coin il y a un petit moment. Ils ne sont pas là pour l’instant, mais je me suis dit qu’il fallait que je vous tienne au courant.”

Le Drakéide poussa un soupir parfaitement audible. Et bruyant.

“Entre donc, Humaine. Tout le monde peut entrer dans la ville.”

“Ah, d’accord. Merci. Euh, passez une bonne journée. “

Erin sourit. Il ne lui rendit pas son sourire.

“Bon, bah je vais y aller alors. Maintenant.”

Elle passa devant le garde. En traversant les portes de fer, elle l’entendit murmurer dans un souffle.

“Ah, ces Humains.”

Le sourire d’Erin se figea un peu, mais elle continua de marcher comme si elle n’avait rien entendu. N’importe qui serait grincheux s’il devait se tenir debout et gérer des touristes odieux toute la journée. Et en plus, c’était juste un garde. Elle traversa les imposantes portes de la ville. Puis elle dut s’arrêter.

Parce qu’elle venait de pénétrer dans Liscor. Cité des féroces Drakéides, construite grâce à l’aide des ingénieux Antiniums. Demeure des Gnolls orgueilleux et des occasionnels Garous, à ne pas confondre. Visitée par de nombreuses espèces, foyer pour d’autres, innombrables. Et à présent s’y ajoutait…

Une Humaine.


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Interlude

Traduit par EllieVia

1300 mots

Ramasser tout le bois cassé lui avait pris beaucoup de temps. Heureusement, elle avait besoin de carburant pour le feu à la cuisine, mais c’était quand même pénible de ramasser toutes les échardes. Surtout quand elle s’en était planté une dans la main. Mais elle avait fini à présent. Il était tard.

La nuit est fraîche. Dans son auberge, Erin Solstice dort.

Ça a été une dure journée. Elle rêve de squelettes invisibles et de mages prétentieux. Elle rêve de dragons qui crachent du feu et de Gobelins, et de lézards géants qui mangent des pâtes. Elle dort.

Toutefois, à des kilomètres de là, quelque chose est en train de se produire.

***

Dans cette partie du monde, l’aube ne s’est pas encore levée. Et pourtant, nombreuses sont les personnes à être encore réveillées. Cela fait des des heures qu’elles n’ont pas dormi. Et certaines restent debout malgré leur épuisement. Leurs places sont fixes. Leur énergie est nécessaire au maintien des innombrables diagrammes luisants qui brûlent haut sur le sol.

Les spectateurs attendent en silence alors que l’homme au centre continue de chanter. Sa voix est vacillante ; cassée par l’effort d’avoir parlé si longtemps. Mais ses mots tremblants sont infusés d’un écho plus profond qui témoigne d’une magie et d’une puissance bien supérieure à celle des simples mortels. Il est épuisé, mais sa tâche est presque terminée.

L’enchantement est achevé.

Nul fracas de foudre. Nulle explosion de l’espace-temps qui se fissure. Au lieu de cela, un murmure se fait entendre.  Et de même, nul flash de lumière n’apparaît, mais une brise invisible se met à souffler et soudain, ils sont là.

Les Humains.

De jeunes hommes et de jeunes femmes. Ils apparaissent en plein mouvement, certains assis, d’autres allongés. Un grand nombre d’entre eux apparaissent au milieu d’un pas ou en train de relever les yeux de leurs smartphones d’un air ébahi. Puis l’ébahissement s’efface, remplacé par de la surprise.

“Quoi ?”

“Où suis-je ?”

Qu’est-ce qui se passe ?“, crient quelques humains invoqués d’un air effrayé. 

D’autres tentent de fuir, pris de panique, mais leurs jambes sont de coton. Quelques-uns surveillent la pièce, remarquent les runes magiques à leurs pieds, les hommes en robe et les mages assemblés et l’aristocratie spectatrice. Qui les observe en silence.

Le meneur en robe lève les bras et tombe à genoux. Il lève son visage sillonné de larmes au ciel et scande :

“Les Grands Héros de la Prophétie sont là ! Nous sommes sauvés !”

Les autres hommes en robe autour de lui élèvent la voix dans des cris de soulagement tandis que les mages tombent, épuisés, au sol. Pendant ce temps, la noblesse murmure et observe les invoqués avec des yeux calculateurs.

Les humains se regroupent, effrayés. Mais il n’y a nulle échappatoire, et nul ne les menace. Pour le moment, du moins. Ils sont abasourdis, élus, invoqués, piégés. Et ils ne sont pas les seuls.

***

La nuit est vieille, et l’aube n’est plus qu’à une heure de là. La campagne est pleine du chant des criquets et des chouettes, du son des bourdonnements d’insectes, et ainsi de suite. Ou du moins, lors d’une nuit ordinaire, ce serait le cas. En ce moment, tout est silencieux. Anormalement silencieux.

Un vieil homme est debout devant sa maison, l’épée levée. La nuit est sombre, et il devrait être dans sa maison, à profiter de son dîner. Mais il avait entendu quelque chose dehors, et  était sorti pour en trouver l’origine. Enfoncé aussi loin dans la campagne, il ne peut pas compter sur les patrouilles de la milice pour sa sécurité.

Si c’est un monstre, il fuira, évidemment. D’un autre côté, si c’est un Gobelin solitaire ou un cafard de voleur essayant de le piller, il les chassera. Il n’a pas beaucoup de niveaux dans sa classe de [Bretteur], mais il est bien assez fort pour se défendre. Toutefois, il n’est pas fou. Si le danger est réel, il se cachera dans sa maison  robuste et le signalera à la Guilde des Aventuriers le lendemain.

“Qui est là ?”, lance-t-il dans la nuit, en espérant ne recevoir aucune réponse. Mais il peut le sentir… les sentir. Quelque chose est tapi, juste à la lisière de son champ de vision. Sa main se resserre sur son épée.

Et, lentement, ils approchent.

Des enfants. C’est la première chose à laquelle songe le vieil homme. Ce sont des enfants.

Mais bon, il est vieux. Ils sont jeunes, certes, mais restent des adultes. Toutefois, il ne peut s’empêcher de les voir comme des enfants à cause de leur allure. Perdus, apeurés et terriblement esseulés malgré leur nombre.

Mais ils restent des humains, et clairement pas une menace, donc il se détend et les appelle.

“Oh, vous êtes perdus, les jeunes ? Entrez, entrez. Le temps est bien trop mauvais pour rester dehors comme ça.”

Le vieillard range son épée dans son fourreau et ouvre sa porte d’un air accueillant. Mais aucun des enfants ne fait mine de bouger. Ils le regardent juste. Et, petit à petit, il réalise également que quelque chose ne va pas.

Leurs habits sont étranges. Depuis qu’il est né, le vieil homme n’a jamais vu pareil accoutrement. Mais au-delà de ça, ils ont l’air… différents. Il regrette d’avoir rangé son épée. S’agit-il de créatures surnaturelles déguisées en humains ? Mais non. Ce sont bien des humains. Il le sent, instinctivement. Mais alors, pourquoi restent-ils immobiles ?

Leurs visages sont tellement terrifiés que le vieil homme sait que quelque chose ne va pas. Les poils sur sa nuque se hérissent. S’agit-il de démons ? De monstres ? Mais ils l’observent, lui. Est-ce que c’est lui qui leur fait peur ?

L’un d’eux pointe un doigt tremblant sur le vieil homme. Non, sur sa ceinture.

“Est-ce que c’est une épée ?”

***

Et quelques-uns, quelques-uns se promènent simplement, imprudents.

***

Une jeune femme s’arrête en pleine foulée. Sa chevelure est plaquée par la sueur, et attachée en une queue de cheval. Elle a son iPod à la main, mais elle arrête la musique explosive et regarde les alentours. Une quinzaine d’hommes armés et un démon enveloppé de flammes arrêtent leur bataille et croisent son regard.

***

Deux jumeaux pouffent de rire et tournent au coin d’une allée. Le garçon jongle avec son smartphone et sa sœur jumelle le gronde de peur qu’il ne le fasse tomber. Sa main se fige. Le téléphone vole en éclats sur le sol en marbre lisse de la salle du trône. Un roi redresse la tête. Fronce les sourcils. Les gardes royaux stationnés autour de la pièce tirent leurs épées de leurs fourreaux et foncent sur le duo abasourdi.

***

Une fille éclate de rire en se faisant traîner hors de sa cellule. On la pousse en avant, et elle trébuche sur quelque chose de plat et dur. Elle lève la tête et contemple l’aventurier qui a baissé les yeux sur elle. Il bouge lentement son corps engoncé dans une armure et l’aide à se relever. Une femme s’accoude au comptoir de la guilde des aventuriers et les autres lèvent la tête. Certains sont des héros, d’autres sont de ceux qui les cherchent. Ses gardiens ont disparu. Elle est libre.

***

La pluie engloutit le monde. Pendant un bref instant. Une brève pluie d’âmes. Mais là où elles atterrissent, les répercussions se font sentir. Ils ne sont pas des légendes, et encore moins des êtres dotés de pouvoirs particuliers, hormis ceux que les humains possèdent déjà tous. Mais ils sont vivants. Ils sont en vie. Et avec leur arrivée, le monde change.

La nuit est bien avancée. Erin dort. Sa tête repose sur une table de bois lisse dans une auberge au sommet d’une colline perdue au milieu des plaines herbeuses. Autour d’elle, le silence. Perdue dans ses rêves, elle bave un peu et marmonne quelque chose à propos de pâtes.

Elle se sent seule. Mais elle ne l’est plus.

 


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1.03

Traduit par ELLIEVIA

2000 mots

Erin dénicha un torrent idyllique courant sur le versant d’une colline à une trentaine de mètres de l’auberge. Son emplacement et sa taille étaient idéaux pour y prendre de l’eau ou même se laver, si le besoin s’en faisait sentir. Tout bien considéré, sa découverte était une véritable aubaine.

Elle fit trois pas, s’élança, traversa le ruisseau d’un bond et courut sitôt que la terre ferme de l’autre rive fut sous ses pieds. Le ruisseau continua de s’écouler alors qu’elle le laissait rapidement derrière elle. Erin ne se retourna pas une seule fois, malgré la brûlure de sa gorge sèche.

Elle était poursuivie.

Par des Gobelins. Ils grouillaient à ses trousses, pataugeant à travers le torrent malgré le fort courant. Et bien qu’ils soient petits, leurs corps étaient nerveux et leurs bras sales musclés. Et ils étaient tous armés.

La plupart portaient des dagues ou des épées courtes, mais Erin avait repéré ce qui ressemblait à un couperet à viande sur l’un d’eux. Elle était trop occupée à courir pour bien regarder, mais s’ils étaient comme ceux qu’elle avait croisés la veille, leurs armes étaient rouillées, tachées de sang séché et d’autres substances plus ou moins encroûtées, et aiguisées.

Leur présence, combinée aux visages des Gobelins, les rendait terrifiants. Les Gobelins ordinaires étaient censés être laids, mais pas dangereux. Dans les jeux vidéo, Erin les avait toujours vus décrits comme des créatures humanoïdes de petite taille avec des nez crochus, des oreilles pointues et des visages laids. Mais ces Gobelins…

Oreilles pointues ? Check.

Visages laids ? Check.

Leurs nez n’étaient pas trop pointus, mais ils étaient plutôt carottes que patates dans l’univers des nez. Mais ce qui effrayait vraiment Erin était leurs dents.

Ils avaient deux rangées de dents. Comme les requins. Leurs yeux étaient rouge sang, comme ceux des monstres dans les cauchemars. Des yeux rouges luisants. Et ils hurlaient en la pourchassant.

Ça ne ressemblait pas à un hurlement normal. Erin avait l’habitude d’entendre des cris, mais ils venaient uniquement de voix humaines. Le son émis par les Gobelins n’était pas un son continu, mais une sorte d’ululement qui semblait s’amplifier avec le temps.

Yiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyi—

En entendant le son, Erin fut saisie d’une sueur froide et elle activa ses jambes encore plus vite pour remonter la colline. Elle était au fond de l’une des vallées, mais elle savait qu’elle se dirigeait droit vers l’auberge. Il lui suffisait de l’atteindre, puis, puis…

C’est là qu’ils la tueraient. Erin atteindrait l’auberge, et ils l’encercleraient, entreraient d’une manière ou d’une autre et la mettraient en pièces. Mais quel autre choix avait-elle ? Aucun. Elle ne pouvait pas courir éternellement.

Déjà, Erin avait l’impression que quelqu’un retournait un couteau dans son flanc et elle était à bout de souffle. Elle n’était pas une athlète. La seule raison pour laquelle elle avait encore beaucoup d’avance par rapport aux Gobelins était qu’ils étaient petits. Elle supposait également qu’ils la laissaient épuiser ses réserves d’énergie avant de la tuer. 

Erin atteignit le sommet de la colline, trébucha, se rattrapa, et vit que les murs brun sombre de l’auberge n’était plus qu’à une centaine de mètres. Elle s’y précipita, jetant toute son énergie dans un sprint désespéré.

Les voix des Gobelins s’étaient un peu assourdies au moment où elle ouvrit la porte de l’auberge à la volée avant de la claquer derrière elle. Mais elle savait qu’ils n’avaient que quelques minutes de retard donc elle se redressa malgré ses poumons et ses jambes à l’agonie.

Une barre de métal pouvait être glissée dans la porte afin de l’empêcher de s’ouvrir. Erin la mit en place, puis regarda autour d’elle. Les fenêtres. La salle commune avait tellement de fenêtres.

“Tu te fous de m…”

Elle ne perdit pas de temps sur la fin de sa phrase. Erin se précipita vers la première fenêtre et en ferma brutalement les volets de bois. Puis elle se débattit avec l’espagnolette. C’était un bout de métal de mauvaise qualité, mais il lui ferait peut-être gagner quelques secondes.

Erin fit rapidement le tour de la pièce, luttant pour fermer toutes les fenêtres tandis que le cri des Gobelins devenait de plus en plus fort. Elle referma violemment la dernière fenêtre et laissa s’échapper un long soupir de soulagement. Avant de se rappeler que l’auberge avait un deuxième étage.

Les ténèbres mystérieuses du deuxième étage qui l’avaient terrifiée la nuit précédente ne ralentirent même pas ses foulées quand elle se précipita en haut des escaliers. Elle courut dans chacune des chambres aussi vite qu’elle le pouvait pour fermer les volets. Bien que quelques linteaux aient succombé à la pourriture, tous les volets étaient principalement intacts. Ou du moins, elle entendrait s’ils se faisaient fracasser.

Erin courut dans la dernière chambre au fond du couloir et s’arrêta net en voyant le squelette sur le dernier lit. Mais même ceci ne la ralentit pas beaucoup et elle referma fenêtre et volets juste à temps avant d’entendre les Gobelins commencer à s’acharner sur la porte à l’étage du dessous.

Ils ne parvinrent pas à entrer de cette manière. Mais tandis qu’Erin se précipitait à bas des escaliers, elle entendit l’un des volets céder. Puis un autre.

Le premier Gobelin se faufila à travers une fenêtre alors qu’Erin restait pétrifiée. Un second, puis un troisième le suivaient de près.

Erin recula. Le premier Gobelin se jeta sur elle alors que ses acolytes se déployaient derrière lui. Ils étaient cinq. Non, six.

Ses jambes tremblaient. Erin essaya de retourner une table devant elle, mais le Gobelin était trop rapide. Il s’élança et elle tomba en arrière avec un petit cri. Il rit puis bondit sur elle, en balayant l’air de son couteau.

Erin roula en arrière et sentit une coupure cinglante sur sa jambe. Elle se remit debout et baissa les yeux.

Du sang. Il s’écoulait d’une plaie fine sur sa jambe. Elle regarda de nouveau le Gobelin et vit son visage souriant.

***

C’était un rictus similaire. Ou sourire. Ou expression, si on veut. Mais pour Erin, c’était le même visage. Le même qu’un humain. Moqueur.  Assuré. Le genre de visage que des jeunes hommes…

Il lécha le sang sur son couteau. Le visage d’Erin se figea. La peur qui avait bouillonné en elle se mua instantanément en colère. Le Gobelin ne le remarqua pas, et fondit sur elle, toujours en souriant.

La jambe d’Erin jaillit. Elle ne le frappa pas du pied. C’était simplement un coup éclair à l’entrejambe. Elle aurait juré avoir entendu quelque chose craquer

L’expression du Gobelin, qui avait été pleine de joie malveillante se figea. Il pâlit, émit un son plaintif et haut perché, puis s’effondra.

Les autres Gobelins fixèrent leur ami, sous le choc. Erin le fixait également d’un air choqué, mais eut la présence d’esprit d’attraper une chaise avant qu’ils puissent réagir. Elle la brandit d’un air menaçant. 

“Et alors ? Allez-y !”

Erin balança la chaise comme une massue. Les Gobelins l’esquivèrent puis s’avancèrent en fouettant l’air près du sol.

Une lame chanceuse cingla la jambe d’Erin et lui soutira un cri de douleur. Elle releva instantanément la chaise et écrasa le Gobelin.

Dans les films, la chaise se serait brisée, en laissant les pieds dans les mains d’Erin. Dans la réalité, l’impact brûla ses mains, mais la chaise ne craqua même pas. Le Gobelin, en revanche, cria beaucoup.

Ses acolytes reculèrent alors qu’Erin relevait la chaise pour un nouveau coup. Sa jambe saignait beaucoup à cause de sa blessure, mais à ce stade, elle était plus en colère qu’effrayée.  Et elle avait une chaise. Ils n’avaient que des couteaux.

En fait, elle avait plus d’une chaise.

“Prends ça !”

Elle jeta la chaise sur l’un des Gobelins et lui heurta la tête pendant qu’il tentait de l’esquiver. Il s’effondra aussi, et Erin avait profité de ce laps de temps pour saisir une autre chaise. Elle l’utilisa comme un bouclier, pointant les pieds en direction du Gobelin le plus proche pour le forcer à reculer.

Confrontés à cette menace inattendue, les autres se séparèrent et tentèrent d’encercler Erin. Par conséquent, elle essaya de ne pas les laisser faire. Mais même s’ils étaient étonnamment fragiles, ils étaient rapides et frappaient fort. Rapidement, les quatre Gobelins étaient tout autour d’Erin,  la dévisageant de sous une table, tentant des feintes par derrière les chaises qu’elle n’attrapait pas.

“Revenez !”

Erin lança sa chaise encore et encore, rata son coup. Mais elle profita du moment où les Gobelins se baissèrent pour l’esquiver pour faire demi-tour et se précipiter vers les escaliers. Elle avait de plus longues jambes, mais ils étaient rapides et s’élancèrent derrière elle pendant qu’elle grimpait les escaliers quatre à quatre.

Le plus rapide des Gobelins était sur ses talons, caquetant cet étrange rire alors qu’il fauchait ses jambes. Erin ignora le sang et atteignit le haut de l’escalier avec le Gobelin juste derrière elle. Il éclata d’un rire démoniaque.

Et s’arrêta quand il réalisa qu’il n’y avait que lui et l’humaine au sommet des escaliers. Il leva les yeux. La grande humaine serra le poing.

***

Le quatrième Gobelin s’écrasa en bas des escaliers, le visage en vrac et ensanglanté. Les trois derniers Gobelins levèrent les yeux vers la jeune femme qui les surplombait et hésitèrent. Mais elle était une proie. Les proies ne se défendent pas !

L’un jeta un couteau. Il frappa le ventre d’Erin pointe en avant, mais le lancer était tellement faible qu’il pénétra à peine sa peau. Elle l’attrapa et sauta au bas des escaliers. 

Les mains sur les rambardes, Erin balança ses jambes en avant. Elle n’était pas gymnaste, mais la rage lui offrit un moment d’inspiration athlétique. Ses deux pieds s’écrasèrent sur le visage du Gobelin lanceur de couteaux.

Il hurla et agrippa son nez cassé et sanglant. Ses deux amis coururent vers la sortie tandis qu’Erin atterrissait au sol.Le Gobelin en sang agita son couteau vers Erin. Elle le gifla.

Crack. C’était une bonne gifle, le type de gifle qui engourdit la main d’Erin. Le Gobelin tomba, étourdi, et sa main lâcha le couteau.

Erin le fixa. Puis, avant que l’un des deux autres Gobelins puis bouger, elle l’attrapa. Et lorsqu’elle se redressa, l’expression de son visage était très différente de celle qu’elle affichait un peu plus tôt.

Les derniers Gobelins la regardèrent. Ils n’étaient pas vraiment que deux, en réalité. Leurs amis n’avaient pas été assommés, juste blessés. Ils commençaient déjà à se redresser en serrant leurs têtes et leurs corps meurtris. Toutefois…

L’humaine leur faisait face, un couteau à la main. Elle n’avait plus l’air aussi effrayée qu’avant. En fait, elle avait l’air plutôt en colère. Ce qui n’augurait rien de bon. Elle avait soudain l’air plus grande, et les Gobelins étaient très conscients du fait qu’elle venait de vaincre les deux tiers de leur effectif en quelques secondes.

Et elle avait un couteau.

Les Gobelins regardèrent fixement Erin. Elle leur retourna leur regard. Ils étaient tous réveillés et sur leurs pieds, à présent, mais ne semblaient pas sur le point d’attaquer. En réalité, ils avaient l’air plutôt nerveux.

Erin les regarda fixement. Ils lui retournèrent son regard. Ses yeux commencèrent à s’embuer, mais elle n’osa pas ciller. Mais elle devait bien faire quelque chose, non ?

“Bouh !”

Les Gobelins hurlèrent et s’enfuirent. Ils se fracassèrent contre les fenêtres cassées en sortant et coururent comme si une armée de démons était à leurs trousses.

Erin resta figée sur place pendant un petit moment, les mains toujours à moitié levées. Elle finit par les redescendre.

Elle voulut se gratter la tête, mais s’éborgna presque avec le couteau. Précautionneusement, Erin posa le couteau sur une table puis s’assit sur la chaise la plus proche. Ses jambes étaient devenues de coton.

“Ha. Haha.”

Erin toussa puis gloussa de nouveau.

“Hahaha.”

Son torse lui faisait mal. Ses bras lui faisaient mal. Ses jambes lui faisaient mal. À vrai dire, son corps tout entier lui faisait mal. Elle avait l’impression de mourir. Mais.

“Je ne peux même plus rire normalement en ce moment. Hahahahahaha… ha ?”

Et alors elle rit réellement. Elle commença de rire alors qu’elle était assise, adosée à la table, son sang s’écoulant sur le sol propre de l’auberge. Elle rit et rit encore jusqu’à ce que des larmes emplissent ses yeux. Puis elle ferma les yeux et sourit. À ce moment-là, elle se cogna ses blessures et s’arrêta de sourire. Mais elle s’endormit quand même.

[Aubergiste Niveau 4 !]

“… Hey. Où sont passés les niveaux 2 et 3 ?”

 


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1.02

Traduit par EllieVia

4600 mots

L’auberge était sombre. C’était parce que le monde était plongé dans les ténèbres, du moins pour le moment. Deux lunes étaient suspendues dans le ciel, l’une bleu clair, l’autre jaune pâle. Mais leur douce lueur était obscurcie par une nappe ondoyante de nuages aériens. Il y avait donc peu de lumière. Plutôt logique, somme toute.

C’était la nuit. 

Toutefois, malgré l’heure tardive, une silhouette ne cessait de s’agiter dans la pièce. Une jeune femme. Ses pieds traçaient un chemin dans la poussière alors qu’elle faisait les cent pas. Elle passait d’un mur à l’autre, en marmottant. Puis elle trébucha sur une chaise.

“Aïe.”

Erin épousseta son pantalon et son t-shirt d’un air dégoûté. Eh bien, ses vêtements étaient officiellement sales, à présent. Des bouts de son t-shirt étaient calcinés et son jean avait été déchiré par les Gobelins et leurs couteaux. Mais ce n’était pas le plus important, là, tout de suite.

“Est-ce que je viens de gagner un niveau ?”

Erin regarda le plafond en restant là où elle était tombée. Elle aurait pu se relever, mais cela aurait impliqué de faire un effort. De plus, elle était affamée, fatiguée et sous le choc. Rester allongée au sol la réconfortait. Même si ses cheveux étaient en train de se couvrir de poussière.

D’ordinaire, elle aurait trouvé cela dégoûtant, mais là tout de suite…

“Sérieusement ? J’ai pris un niveau ? Je suis dans un jeu vidéo ou quoi ?”

Lentement, Erin se redressa et s’accroupit. Puis elle enfouit son visage entre ses mains. 

“Non. Non, ce n’est pas possible. Mais… un dragon et des Gobelins et maintenant des niveaux… C’est un autre monde, c’est ça ? Un qui ressemble à Donjons et Dragons ? Ou… ou à un jeu vidéo ?”

Elle se redressa puis se releva. Le monde tournoyait autour d’elle. Le bon sens ? Qui avait besoin de ça ? Non. Donnez-lui juste quelques dragons cracheurs de feu et laissez-la augmenter de niveau en nettoyant des tables. Ça, c’était sensé.

“Très bien. Récapitulons. Je suis dans un autre monde qui est en réalité un jeu vidéo. Et ce monde contient des monstres et je peux gagner des niveaux en faisant des trucs. J’obtiens même des compétences et quand c’est le cas, une voix dans ma tête – non, plutôt une pensée – apparaît et me dit que j’ai accompli une quête.”

Elle opina de la tête.

“Yup. Ça semble parfaitement logique.”

***

“Ça n’a strictement aucun sens, bordel !” 

Erin hurla en donnant un coup de pied dans une chaise suffisamment fort pour qu’elle vole à travers la pièce. La chaise atterrit avec un énorme crack relativement satisfaisant. Ce qui l’était moins était le pied d’Erin, qui avait cogné la chaise assez fort pour s’écraser tous les orteils.

Après avoir hurlé de douleur en sautillant sur un pied pendant un petit moment, Erin s’assit à l’une des tables et pleura. Ce n’était pas comme si elle aimait pleurer, ou s’adonnait souvent à cette activité. C’était simplement ce dont elle avait besoin à ce moment-là.

Après dix bonnes minutes passées à pleurer à chaudes larmes, Erin renifla et cessa enfin de sangloter. Elle se sentait mieux, mais dut rapidement faire face à un nouveau problème quand elle leva la main pour essuyer son visage trempé de larmes et de morve et se souvint qu’elle n’avait aucun mouchoir à disposition. Elle finit par utiliser le chiffon.

Le chiffon mouillé et plein de saletés. Mais c’était toujours mieux que son t-shirt. Puis Erin finit par s’asseoir dans les ténèbres, le regard dans le vague.

“Je suis fatiguée.”

Ce furent les dernières paroles qu’elle prononça avant de s’endormir.

***

La lumière du jour suivant la réveilla comme coup de poing dans la figure. Elle gémit et s’assit, saisie de migraine. Il lui semblait s’être tordu le cou, et elle était percluse de courbatures d’avoir dormi sur le sol.  Elle aurait tout de même dormi encore un peu si le soleil et son estomac ne l’avaient pas réveillée.

Traînant des pieds, Erin contempla la vive lumière filtrant à travers une fenêtre. 

“C’est pour cette raison qu’on a inventé les rideaux, vous savez.”

Les fenêtres. Ces dernières n’avaient ni vitres ni rideaux. C’étaient de simples trous rectangulaires dans le mur, mais elles étaient tout de même pourvues de volets. Dommage qu’Erin ait choisi de s’allonger sous la seule fenêtre ouverte.

Sans réfléchir, elle se passa les mains dans les cheveux et ces dernières en sortirent sales et pleines de poussière. Ah oui. Elle avait dormi par terre. Sur le sol couvert de poussière. Où elle avait fait tomber toute la saleté la veille. 

Erin s’assit sur une chaise et enfouit son visage dans ses mains. Un instant plus tard, les gargouillis de son estomac se firent impérieux.

“Compris. Message reçu.”

En gémissant, la jeune femme finit par se relever. Elle se tint debout un court instant, son corps protestant contre les lois naturelles de la gravité, puis se rassit. Elle se sentit mieux, mais son estomac objecta. Son corps hésita entre céder à la faim ou à l’épuisement , puis la faim finit par l’emporter. Erin se redressa, sachant pertinemment qu’elle devait dénicher de la nourriture. Il n’y en avait pas dans l’auberge, elle n’avait même pas tenté de fouiller les placards, car à quoi bon ? N’importe quel aliment abandonné depuis que l’auberge avait été désertée aurait eu le temps de prendre vie et de se faire pousser des pattes.

Plus qu’à aller jeter un œil dehors. Mais Erin hésita en posant sa main sur la porte.

Les monstres.

Elle frissonna. Le souvenir de la veille revint, parfaitement net et vif dans son esprit. Ses mains se mirent à trembler. Son bras brûlé irradia de douleur et les coupures sur se jambes se mirent à la piquer et à la démanger. Erin ferma les yeux et prit une inspiration. Oui, les monstres. Mais…

“Je vais mourir ici si je ne trouve rien à manger.”

Elle ouvrit donc la porte. Elle n’agit pas ainsi par courage, mais par simple instinct de survie.

Le soleil était tellement fort qu’Erin en fut momentanément aveuglée. Elle sortit, une main en visière devant ses yeux. Puis elle s’arrêta. Parce qu’une idée venait soudainement de la frapper. Quelque chose qu’elle avait déjà compris, mais sans en prendre réellement conscience.

“Je suis… vraiment dans un autre monde, pas vrai ?”

Ce fut une sorte de révélation qui lui vint lorsqu’Erin leva les yeux. Droit sur un ciel bien plus vaste que le sien. C’était difficile pour elle de l’expliquer par des mots ; elle savait simplement,  à la vue de l’infinité d’un bleu vif au-dessus de sa tête, que ce ciel était différent de celui qu’elle avait vu toute sa vie.

Les nuages étaient trop gros. Erin n’aurait jamais pu imaginer quelque chose de semblable, et pourtant. Les nuages étaient… gigantesques. Chez elle, Erin pouvait s’allonger dans l’herbe et plonger son regard dans des centaines, voire des milliers de miles d’espace vide, et voir les nuages flotter à une hauteur inimaginable au-dessus de sa tête. Mais ici…

“Encore plus loin que ça. Tellement vaste.”

Erin leva les yeux et vit un nuage flotter au-dessus d’une montagne au loin dont l’ombre atteignait presque son auberge. Il avait l’air gargantuesque, et pourtant elle pouvait voir les prairies de collines et de vallées s’étaler sur des miles et des miles à sa base. Le sommet de la montagne était tellement haut qu’Erin ne pouvait pas le voir, même en se tordant le cou.

Et le nuage était plus grand encore.

Quelle taille pouvait atteindre un nuage ? Erin ne s’était jamais posé la question. Mais elle pouvait se souvenir avoir vu des nuages aussi hauts que… de petits gratte-ciel, peut-être ? Ou des collines ?  Les collines étaient-elles plus hautes que les gratte-ciel ? C’était sans importance.

Ce nuage, ce simple nuage perdu parmi tant d’autres, faisait la taille de la montagne qu’il surplombait. Elle pouvait le voir d’ici. Ses yeux se plissèrent, distinguant vaguement de petites crêtes en couches successives sur le nuage, d’une taille impossiblement petite de là où elle se trouvait, mais probablement des plateaux et des falaises majestueuses en réalité. L’envergure du nuage lui coupa le souffle. 

Et ce n’était qu’une fraction du ciel. Quand Erin prit la mesure de ce qui l’entourait, elle réalisa que ce monde était vraiment vaste. Des montagnes qui semblaient s’élever à l’infini, d’immenses prairies exemptes de civilisation… et combien de temps avait-elle couru pour atteindre cet endroit ? Au premier regard, l’herbe semblait s’étendre à perte de vue dans toutes les directions en une unique surface plane, mais une observation plus méticuleuse racontait une tout autre histoire.

“Ce sont des collines ! Des collines et des vallées. Pas étonnant si je n’arrêtais pas de trébucher la nuit dernière !”

Marcher distraitement pouvait vous faire perdre toute orientation et l’on pouvait se retrouver soudainement dans une vallée large de milliers de pieds*. Et tout était relativement uniforme, la tyrannie du vert interrompue ponctuellement par quelques fleurs et rochers. Les plaines s’étendaient à l’horizon sans interruption…

À moins que.. ? Erin s’arrêta net lorsqu’elle commença à repérer quelques détails à l’horizon. Loin, très loin, entre la chaîne de montagnes et le soleil levant, elle aperçut quelque chose ressemblant à des bâtiments. Y avait-il une ville là-bas ? Ou un village ? Ou… une cité ?

Impossible à dire de là où elle était, mais cette vue donna l’espoir à Erin de ne pas être seule dans ce monde. Cependant, l’idée de voyager jusque-là l’estomac vide était impossible et elle continua donc de chercher. 

“Est-ce que ce sont… des arbres ?”

Erin plissa les yeux. Il y avait quelques arbres au loin, nichés dans l’une des vallées. C’étaient bien des arbres, n’est-ce pas ? Erin avait l’impression que quelque chose clochait chez eux, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle les regardait par-dessus depuis son observatoire.

Cela lui paraissait irréel de regarder une forêt par le dessus, mais c’était la seule réponse à laquelle elle pouvait penser.  Il lui semblait qu’il y avait une petite – enfin, relativement parlant – vallée à l’Est, remplie d’arbres. Cela n’avait pas l’air trop loin, et si Erin regardait bien elle pouvait voir quelques taches jaunes et bleues sur les arbres. Des fruits ?

Une seule manière de savoir. Elle commença donc à marcher dans cette direction, ses jambes et son estomac prenant le dessus sur son cerveau plus circonspect. Elle avait besoin de nourriture. Ce n’était pas difficile de descendre les collines aux pentes douces, et bien qu’il lui fût plus compliqué de les monter, Erin pouvait au moins y aller lentement. L’herbe était douce sous ses chaussures et elle avait le pied sûr. Tout était… paisible. Trop paisible.

Une petite partie de son esprit se souvenait des Gobelins. Okay, ce n’étaient peut-être pas des Gobelins, mais que pouvaient-ils être d’autre ? C’étaient des enfants étranges et déformés qui ressemblaient à des versions d’humains monstrueuses avec de longs nez, des dents acérées, de petits couteaux et…

C’étaient des Gobelins. Erin se souvenait qu’ils l’avaient trouvée alors qu’elle fuyait le Dragon, blessée et en état de choc.

Le cœur d’Erin s’emballa à l’idée de ces petits monstres la pourchassant et essayant de la couper en morceaux et ses pas ralentirent. Mais elle n’avait pas le choix, si ? Soit elle restait à l’auberge en attendant de mourir de faim, soit elle allait chercher de la nourriture. Les arbres n’étaient pas si loin. Elle pourrait attraper quelques-uns de ces fruits – si c’étaient bien des fruits – et s’enfuir si quelque chose s’approchait d’elle.

C’était le plan. C’était le plan jusqu’à ce qu’Erin marche à côté d’un énorme rocher. 

Le rocher en lui-même n’était pas très intéressant, mis à part le fait qu’il s’agissait surtout d’un bloc de roche, ou plutôt d’un monticule de roche gigantesque, rond au sommet et semblable à une petite colline. Il était deux fois plus haut qu’une personne ordinaire, et tout aussi large. Pour résumer, c’était un gros rocher.

Erin l’ignora au début, à part pour se demander en le regardant si monter dessus lui donnerait une meilleure vue. Mais elle avait faim, donc elle marcha sans s’arrêter devant le rocher. C’est ce qui la sauva.

En laissant le gros rocher derrière elle, Erin sentit un woosh d’air et un gros crack terrifiant juste à côté de son oreille. Elle bondit, fit volte-face et hurla. Elle se mit aussitôt à courir alors qu’une deuxième pince la décapitait presque.

La chose qui s’était cachée sous le rocher le souleva de terre et se rua sur Erin qui fuyait en hurlant. Elle ne se permit qu’un bref regard par-dessus son épaule, mais ce fut suffisant. Elle accéléra encore le rythme.

Deux pinces colossales constituées d’une chitine brune dépassaient de sous le rocher tandis que le monstre-crabe se précipitait sur elle. Il avait suffisamment soulevé la gigantesque coquille creuse pour qu’Erin voie d’innombrables pattes de crabe déchiqueter la terre alors qu’il se propulsait en avant. 

Oh, nonononononononononononon…

C’était la voix dans la tête d’Erin. Elle ne pouvait pas interrompre sa respiration, car tout l’air de son corps était consacré à la maintenir en état de courir aussi vite qu’elle le pouvait.

Erin sentit quelque chose de massif rater de justesse son dos. Elle accéléra encore, mais ça avait l’air d’être juste derrière elle. Le crabe géant faisait du bruit en la poursuivant, une sorte de cliquetis bruyant qui ressemblait à des coups de feu explosant juste à côté de la tête d’Erin.

Elle courut donc encore plus vite.

Le cliquetis finit par s’arrêter et Erin réalisa qu’elle ne pouvait plus rien entendre derrière elle. Elle s’arrêta et se retourna pour voir un rocher pourvu de beaucoup trop de pattes faire lentement demi-tour dans la plaine.

“Qu’est-ce que… putain de… crabe ?”

Erin ne pouvait que haleter et presser son flanc. Elle avait l’impression que ses jambes allaient céder sous son poids, et que ses poumons allaient exploser. Elle avait également la tête lourde, mais elle ne voulait vraiment pas s’asseoir. 

Au lieu de cela, elle se força à continuer d’avancer. Cela lui faisait mal. Tout faisait mal. Mais elle était toujours en vie, crabe ou pas crabe.

Erin tenta de sourire. Se jambes lui faisaient mal, mais elle finit par retrouver le contrôle de sa respiration. Mieux, elle venait d’arriver à destination.

“C’est… c’est bien un arbre ?”

Erin resta bouche bée devant les étranges végétaux qui lui faisaient face. C’étaient probablement des arbres. Avec de l’écorce, et des fruits. Mais pour le reste, ils paraissaient légèrement… anormaux.

L’arbre devant elle était fin et robuste. Enfin, robuste pour un arbre. Il faisait au moins dix pieds de haut*, mais son tronc semblait bien trop étroit pour en supporter le poids. Sans compter que ses feuilles étaient d’une taille démesurée. 

“C’est comme un palmier, mais avec des branches. Et des fruits bleus.”

Décida Erin après avoir examiné l’arbre, pour voir si elle pouvait le renverser. Le bois était remarquablement dur – le tronc fin ne se plia qu’à peine même une fois qu’elle eut tiré sur les branches les plus basses.

“Et il est gris. De l’écorce grise, des feuilles vertes, et des fruits bleus. Qui a laissé tomber un pot de peinture sur ce machin ?”

Cela dit, les couleurs ne juraient pas horriblement. Et ce qui intéressait Erin, plus que l’esthétique, c’était de savoir si les fruits étaient comestibles ou non. Et si elle pouvait les atteindre.

La plupart des fruits bleus étaient rassemblés sur les plus hautes branches des arbres. Il y avait des fruits jaunes un peu plus bas, mais étant donné qu’ils étaient plus petits, ils ne devaient pas avoir atteint leur maturité. Erin attrapa une branche d’une main hésitante, vérifia qu’elle supportait son poids puis tenta de s’y hisser.

“Je… hais… les tractions !”

Ses bras tremblaient alors qu’elle s’efforçait de décoller du sol. Au bout de quelques secondes, Erin parvint à hisser son menton au-dessus de la branche, mais pas plus loin. Une seconde plus tard, elle dut lâcher prise.

Erin atterrit au sol et leva les yeux vers les fruits qui la tourmentaient, hors de portée. Si seulement elle n’était pas aussi fatiguée et affamée… elle ne pourrait probablement quand même pas les atteindre.

“C’est comme ça que je vais mourir ? Mourir de faim parce que je n’arrive pas à faire une traction ?”

Non. C’était stupide. Mais plus elle y réfléchissait…

“Non. Non !”

Erin bondit et parvint à se hisser à moitié au-dessus de la première branche par pur désespoir. Mais ses bras se dérobèrent, et elle s’étala sur le dos avec un whumph qui chassa l’air de ses poumons.

“Saloperie d’arbre !”

Ses cris de frustration se répercutèrent dans la petite vallée. Elle tenta  de nouveau d’attraper la branche, mais elle ne pouvait même plus se hisser. Elle cria de frustration, empoigna ses cheveux sales, puis finit par mettre un grand coup de pied dans l’arbre.

La force du coup fit frissonner l’arbre jusqu’au sommet. Les feuilles tremblèrent, les fruits s’agitèrent…

Et l’un d’eux tomba au sol.

Erin baissa les yeux sur le fruit bleu, rond et légèrement velu. Puis elle leva de nouveau les yeux sur l’arbre. Sans un mot, elle attrapa le fruit. Puis elle regarda autour d’elle, dans l’expectative.

“Hum, ne devrait-il pas y avoir une sorte de notification ?”

Pas de réponse. Erin lança un nouveau coup de pied dans l’arbre et ramassa un deuxième fruit.

“ Vous avez obtenu l’objet [Fruit Bleu Mystérieux] ! Dun dun dun dun !”

***

Un instant plus tard, Erin enfouit son visage dans ses mains pour cacher sa rougeur.

“… Je déteste ce monde.”

Une fois terminée, Erin observa le fruit dans ses mains. Il n’était pas particulièrement intéressant. C’était bleu, c’était probablement un fruit, et c’était plutôt gros. Erin avait déjà vu des “monster apples” dans des magasins, ces pommes étonnamment chères qui faisaient trois fois la taille de leurs cousines plus petites. C’était à peu près la taille du fruit bleu.

Son estomac gargouillait à leur simple vue. Erin leva le fruit à sa bouche, puis hésita.

“Est-ce que je vais mourir ?”

C’était une bonne question. Erin étudia le fruit dans sa main. Elle le renifla prudemment. Ça sentait vaguement… sucré? Elle le tâta. Légèrement moelleux. Probablement succulent. Puis elle le lécha.

Pouah ! Poilu !”

Peut-être vaudrait-il mieux le peler finalement. Peut-être que c’était en réalité une sorte de monstre extraterrestre et que si elle croquait dedans elle allait se retrouver avec une bouchée de sang et de boyaux. Cette idée la fit hésiter quelques minutes avant qu’elle ne commençât à l’éplucher.

“C’est une sorte de pêche. Pas un monstre, pitié pas un monstre…”

Erin pela la couche supérieure du fruit et découvrit une chair bleue violacée. Le jus qui coulait au sol avait une odeur… Son estomac  gargouilla, mais un autre élément retint son attention.

“C’est le plus gros noyau que j’aie jamais vu. Il prend plus de place que le reste du fruit !”

Erin souleva le noyau du fruit bleu, qui faisait effectivement les deux tiers de la taille du fruit en lui-même. L’extérieur était d’un marron violacé taché, mais Erin entendait des clapotis à l’intérieur quand elle l’agitait.

“Okay, c’est le moment de voir ce qu’il y a à l’intérieur.”

Elle aurait besoin d’un caillou pour ça. Erin transféra le noyau dans son autre main et se releva. Ce faisant, elle comprima légèrement le noyau.

Crack. Crack.

Creux. La coquille brune s’ouvrit en deux et déversa un mélange de graines pulpeuses et de jus marron sur le pantalon d’Erin et sur le sol. Elle fixa des yeux les dégâts jusqu’à ce qu’une odeur âcre lui monte au nez – une odeur incroyablement chimique qui ressemblait fortement à de l’antigel ou à une sorte de détergent.

Lentement, Erin se redressa et enleva le vomi de noyau de ses vêtements. Cela ne fit rien pour la débarrasser de l’odeur. Puis elle ramassa les bouts de noyau et les jeta aussi fort que possible sur l’un des arbres.

“Je déteste ce monde !”

***

Au  bout d’un moment, son estomac se remit à protester alors que l’odeur du noyau se dissipait dans l’air matinal. Erin attrapa avec  prudence le second fruit et le porta à sa bouche. Ce coup-ci, elle mordit directement dans la peau et  mâcha. La texture était désagréablement caoutchouteuse et difficile à mâcher, mais c’était heureusement comestible. Et de plus…

“Wow. C’est hyper bon !”

C’est la première remarque que fit Erin après en avoir consommé successivement huit fruits bleus de plus. Elle posa sans y toucher les noyaux par terre, mais dévora joyeusement l’enveloppe charnue, dévalisant un arbre entier avant de se sentir rassasiée.

Elle gémit de satisfaction en se rasseyant contre l’arbre. Elle se sentait bien. Collante et puante, certes, mais bien. Il faisait beau, chaud, son estomac était plein et, alors qu’elle se prélassait sur l’herbe tendre, une seule pensée occupait son esprit.

Il faut que j’aille aux toilettes.

Peut-être que les fruits avaient déclenché son envie, ou peut-être qu’elle aurait dû y aller depuis longtemps. Dans tous les cas, Erin était subitement très consciente d’un besoin pressant.

“La nature m’appelle. Je déteste la nature.”

Elle alla derrière l’arbre le plus proche, puis tourna autour. Cela ne la cachait pas particulièrement, mais elle devait vraiment y aller.

“Bon, de qui est-ce que je me cache de toute façon ?”

Erin réfléchit à cela un petit moment et tourna délibérément autour de l’arbre jusqu’à ce que le soleil soit hors de vue. Elle se sentit plus rassurée.

Quelques secondes plus tard, Erin se sentait soulagée et heureuse. Son estomac était plein, d’autres zones étaient vides et le mieux dans tout cela : elle était en vie.

“Et maintenant, comment vais-je passer devant ce Crabroche sur le chemin du retour ?”

Son estomac se serra désagréablement à l’idée et son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine. Mais une idée la saisit lorsque son regard tomba sur le tas de noyaux par terre. 

Le rocher, énorme et trompeur, lui semblait de moins en moins à sa place au fur et à mesure qu’Erin l’observait. Si elle avait été capable de réfléchir malgré sa faim un peu plus tôt, elle se serait demandé comment un rocher aussi gros avait bien pu se trouver au milieu de la prairie sans présenter de traces d’érosion. Eh bien, cette espèce de crabe-roche était clairement l’un des prédateurs de ce monde.

***

Et elle était rapide. Erin ne voulait pas avoir à fuir de nouveau, elle espérait donc vraiment que son plan allait marcher. Les crabes avaient-ils des nez ? Probablement pas, mais elle espérait tout de même qu’ils avaient de l’odorat.

Lentement, Erin s’avança. Le rocher resta immobile. Eh bien, soit.

Erin ramassa un petit caillou et le jeta sur le rocher. Il rebondit. 

Elle attendit. Le rocher ne bougea pas d’un pouce.

Erin ramassa une autre pierre, plus grosse, et la lança sur le rocher. Elle ne visait pas très bien et la pierre glissa sur le côté. Encore une fois, il n’y eut pas de réponse.

“Euh… C’est bien le bon rocher ?”

Erin regarda aux alentours. Il n’y avait pas d’autres rochers suspects en vue. Mais celui-ci ne faisait rien.

“Je devrais me rapprocher… Non, c’est débile.”

Elle observa de nouveau le rocher. Bon, eh bien, s’il ne comptait pas bouger…

Erin se détourna. Elle allait faire le tour. Loin. Elle commença à s’éloigner.

Click.

Le son était ténu. Mais il la figea sur place, et elle fit volte-face.

Erin surprit le crabe-roche en train de ramper furtivement vers elle. En quelques secondes, il avait parcouru presque six mètres. Horrifiée, elle le regarda commencer à grimper vers elle..

Clickclickclickclickclickclickclick

Le Crabroche passa à la vitesse supérieure et se rua dans sa direction. Deux énormes pinces et une paire d’antennes sombres – ou était-ce des yeux ? – se mirent à pointer sous le rocher.

Erin fit un pas en arrière, commença à se retourner pour courir, et se rappela ce qu’il y avait dans son autre main. Elle visa rapidement et jeta le noyau qu’elle avait gardé jusque-là.

Dans le mille. Le noyau frappa le Crabroche pile sur les antennes et explosa en une cascade de liquide pulpeux. Même à cette distance, Erin pouvait sentir le fumet toxique dans la brise.

Pour être honnête, Erin ne savait pas l’effet que cela allait avoir sur le Crabroche. Allait-il être blessé ? Choqué ? Elle l’avait bien eu en plein sur l’antenne, et elle était sûre qu’un coup aussi fort devait faire mal. Elle s’attendait à ce que le crabe ait un mouvement de recul, ou qu’il soit peut-être effrayé par l’odeur.

Ce à quoi elle ne s’attendait absolument pas, en revanche, c’était que le crabe s’affole et se mette à s’assommer avec l’une de ses pinces. Il était en train de paniquer, et raclait frénétiquement l’endroit où le noyau l’avait touchée, faisant fi des dégâts qu’il infligeait à son antenne. Il émettait des bruits de détresse.

Le son aurait pu être produit par le plus bruyant des criquets du monde, mais en plus grave et résonnant sous la coquille rocheuse de l’animal. Cela suffit à faire reculer Erin jusqu’aux arbres, là où le crabe n’était plus qu’à peine visible.

Même après s’être largement éloignée, elle pouvait encore voir le crabe exécuter une danse mécontente alors qu’il tentait d’ôter les fragments de noyau.

“Huh.”

Erin se gratta la tête. 

“Bon, bah, c’est bon à savoir : ils détestent les fruits.”

En parlant de fruit… Erin décida de récolter un peu plus de ces délicieux fruits bleus. Autant qu’elle pourrait en porter, en fait. Le bleu serait désormais la couleur du petit-déjeuner, déjeuner et dîner et elle aurait juste souhaité avoir des mains supplémentaires. Pouvait-elle fabriquer un panier ou autre ? … Avec de l’herbe ?

Elle mit un coup de pied dans une touffe.

“… C’est une idée débile.”

Et son t-shirt, alors, ou son pantalon ? C’était un peu… Mais bon, il n’y avait personne pour la voir à part les crabroches, pas vrai ? Oui, mais même.

“Dommage que je ne sois pas un streaker, hein ?”, souffla Erin à une parcelle d’herbe. L’herbe ne répondit pas.

Avec un soupir, Erin s’éloigna. Elle atteignit le sommet d’une petite colline et se surprit à regarder de nouveau le verger. Et plusieurs petites créatures vertes. Elles donnaient des coups de pied dans les arbres pour récolter des fruits.

Pendant quelques instants, elles ne la virent pas. Puis l’une d’entre elles leva la tête et aperçut l’humaine bouche bée occupée à les observer. Elle émit un son suraigu et les autres relevèrent la tête.

“Des… des Gobelins ?”

La créature la plus proche fit un pas en avant. Elle semblait inoffensive. Pendant un bref instant. Puis elle dénuda des dents incroyablement acérées et tira un couteau. Ses amies firent de même. Elles avancèrent vers la jeune femme.

La jeune femme, de son côté, resta figée d’horreur pendant encore deux secondes puis les pointa du doigt. Elle ouvrit la bouche et hurla :

Des gobeliiiiiiiiiins !”

Les monstres à peau verte s’arrêtèrent et regardèrent alors que la jeune femme hurlait et se mettait à courir à toute vitesse. Mais ils la suivirent, tenaces, malgré le rythme insensé auquel elle sprintait. Ces Gobelins avaient appris à chasser les autres espèces, et savaient que les Humains paniquaient facilement et se fatiguaient vite. Ils la rattraperaient dès qu’elle se mettrait à ralentir.

… Si jamais elle ralentissait un jour.

C’était le soir. Le soleil projetait de longues ombres à travers les plaines. Tout était silencieux. Si l’on faisait abstraction du rocher-crabe hurlant en se frappant la tête et l’humaine qui criait, il n’y avait aucun son dans l’univers.

Tout était calme.

Une silhouette solitaire sprinta à travers la prairie. Elle courait aussi vite qu’elle le pouvait. Derrière elle, un groupe de créatures trapues la suivait. C’était presque l’heure du dîner.

Erin Solstice, vingt ans. Une jeune fille – femme du Michigan vaguement intéressée par les jeux vidéo et profondément obsédée par les jeux de stratégie. Parmi ses hobbies, on retrouve la pratique du snowboard, regarder des vidéos Youtube, jouer aux échecs, au shogi, au go, etc. Elle rêve de devenir un jour commentatrice de jeux de stratégie professionnelle.

En ce moment…

Elle fuit pour sauver sa vie.

 


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1.01

Traduit par maroti

3000 mots

Après quelques minutes, la vagabonde se leva. Enfin, elle n’était pas réellement une vagabonde. Elle n’avait pas prévu de voyager cette nuit. La jeune femme fronça les sourcils en se frottant le visage. Elle était sur la route des toilettes et… avait dû prendre le mauvais chemin quelque part.

Un très mauvais chemin, car elle n’avait jamais atteint le réconfortant siège de porcelaine et s’était soudain retrouvée dans une grotte, nez à nez avec un…

Un Dragon.

La jeune femme sursauta, son cœur battant la chamade. Elle regarda autour d’elle avant de se rappeler qu’elle était dans l’auberge. Mais le souvenir était vif, et son bras brûlé… Elle le toucha et grimaça.

« Ce n’est pas un rêve. »

Mais elle avait l’impression que c’en était un. C’était comme si elle était dans un rêve, parce que ce serait tellement plus facile à expliquer que la réalité. La réticente vagabonde prit une grande inspiration, puis une autre, avant de tousser.

« C’est poussiéreux. Ahem ! »

Elle tentait de rationaliser ce qui se passait. Commençons par le commencement.

« Qui suis-je ? Je suis Erin. C’est bon ! Nous sommes sur la bonne voie. »

Elle sourit de manière hésitante. Oui, elle s’appelait Erin. Erin Solstice. Ce n’était pas un nom facile à oublier. Et même si c’était le sien, elle avait quelques objections à son sujet. Par exemple, Erin pouvait être un nom de garçon, et elle était une fille. Du moins, elle avait été une fille. Erin se tâta en fronçant les sourcils.

« Ouaip, toujours une fille. Ravie de voir que cela n’a pas changé. Maintenant… Qu’est-ce que j’ai sur moi ? »

Elle touchait ses poches. Elle avait… Deux poches vides. Fantastique. Erin avait espéré que son téléphone serait avec elle, mais qui prend son portable pour aller aux toilettes ?

« Toutes les personnes raisonnables, voilà qui. »

La plupart des gens commençaient leurs voyages bien préparés. Si Erin avait su qu’elle allait se serait retrouvé ici, elle aurait préparé un sac à dos rempli à ras bord de ce qui était essentiel. Puis elle aurait rajouté une arme à feu. Pour combattre les petits hommes verts. Mais elle n’avait nullement préparé cette aventure. Elle n’avait pas eu la moindre idée de ce qui allait lui arriver.

Comment quelqu’un pouvait voyager jusqu’à un nouveau monde, jusqu’à un autre… Un autre endroit ? Erin fronçait les sourcils en pensant à sa situation. Ce n’était clairement pas une réalité virtuelle, elle ne se souvenait pas d’avoir été droguée ou enlevée, et elle était pratiquement certaine qu’elle n’était pas folle… Même si sa situation actuelle la faisait légèrement douter. Mais si toutes les solutions logiques, dignes du monde réel, n’étaient pas applicables, la seule solution restante était…

De la magie. Erin ne croyait pas en la magie normalement, mais voir un Dragon il y a moins d’une heure avait rapidement changé son avis sur l’existence du fantastique. Et pourtant… il n’y avait pas eu de portail d’invocation, pas de rituel mystique ou d’impression de marcher dans du vide.  Bon sang, il n’y avait même pas eu de ding bruyant pour lui indiquer que quelque chose venait d’arriver.

« Je voulais juste aller aux toilettes. »

Elle n’avait pas ouvert la mauvaise porte ni rentrée dans une armoire. Erin mit sa tête entre ses mains. C’était impossible. Elle était en train de devenir folle. Non, elle était déjà folle et cette auberge était l’image mentale qu’elle se faisait de la chambre capitonnée dans laquelle on l’avait enfermée. C’était aussi plausible que le reste.  

Cependant, si elle était folle, cela voulait dire qu’elle était assise dans son propre espace mental. Erin regarda les alentours avec précaution. Une auberge. Quel endroit étrange. Erin n’avait jamais mis les pieds dans une auberge… Ni dans un bâtiment entièrement fait de bois. Mais elle en était là. Des murs de bois, des poutres en bois au plafond, des escaliers de bois qui menaient à l’étage…

« Est-ce que je suis dans un monde médiéval ? Ou une sorte de monde fantastique ? »

L’angoissant état d’abandon de l’auberge sauta au visage d’Erin tandis qu’elle regardait autour d’elle. Au début, elle avait été pathétiquement reconnaissante d’apercevoir un bâtiment dans les prairies vallonnées dans lesquelles elle s’était retrouvée. Elle avait foncé vers l’auberge sans réfléchir. Mais maintenant qu’elle était à l’intérieur, Erin était mal à l’aise.

C’était tellement vide. Vide et poussiéreux. Vraiment poussiéreux. La pièce centrale avait beau être grande et spacieuse, les grandes tables rondes et les chaises la rendaient plus petite. Un long comptoir au fond de l’auberge lui donnait l’impression d’être dans un bar. Elle sentait qu’un barman aurait dû se trouver derrière ce comptoir, nettoyant un verre et lui servant une délicieuse boisson rafraîchissante…

Erin soupira et se gifla doucement le visage. Elle avait soif. Et faim. Il était temps de penser à autre chose. Elle prit une grande inspiration et toussa, avant d’éternuer.

« C’est dégoûtant ici ! Quelqu’un devrait passer un coup de balai ! »

Elle fit une pause, et après une poignée de secondes, Erin regarda autour d’elle.

« … Je suppose que je suis cette personne. »

Il n’y avait pas beaucoup de confiance dans ses mots. Pourquoi s’embêter à nettoyer un lieu aussi décrépit ? D’un autre côté, c’était tellement poussiéreux qu’Erin était sûre que si elle essayait de dormir, elle s’étoufferait à mort ou aurait été la victime d’une violente crise de toux en plein milieu de la nuit. De plus, ce serait bien de ne pas soulever un nuage de poussière à chaque fois qu’elle s’asseyait.

« Et puis, c’est un bon coin pour se reposer. S’il n’y a personne ici, je serai peut-être capable de… »

De faire quoi ? Se cacher ? Vivre ici ? Qu’est-ce qu’‘ici », exactement, et que se passe-t-il ?

Erin tentait de ne pas paniquer tandis que l’incertitude s’emparait son cœur. Elle ne pouvait pas paniquer, pas maintenant.  Elle était terrifiée, c’était indéniable, mais son instinct lui disait que paniquer n’était pas une option. Il n’y avait personne pour l’aider, elle était perdue et seule… La panique était un luxe qu’elle ne pouvait pas se permettre.

Alors Erin s’accrocha à la seule vérité qui était encore indéniable. Si une pièce était sale, elle ne devrait probablement pas l’être. Elle décida alors de la nettoyer, et prit sa première décision depuis son arrivée dans ce monde. C’était une simple tâche, une humble ambition :

Trouver un chiffon.

Clairement, ce n’était pas la plus inspirée des décisions, mais l’intégralité du plan d’Erin était basée sur cette simple tâche. Premièrement elle allait trouver un chiffon, puis elle allait trouver un seau. Et puis, s’il n’y avait pas de seau, elle pouvait toujours aller dehors et mouiller le chiffon avec la pluie. Après ça, elle pouvait nettoyer quelques tables et puis elle allait trouver une serpillière…

Le premier endroit où Erin fouilla fut derrière le bar. C’était un début prometteur, mais elle ne trouva que plus de poussière et des toiles d’araignées.

« Zut. »

Puis, elle regarda derrière le bar et trouva que ce dernier donnait accès à une cuisine. Elle remarqua plusieurs poêles, vieilles et rouillées, ainsi que plusieurs casseroles et même le précieux seau, mais pas de chiffon.

« Double zut. »

Se sentant de plus en plus désespérée, Erin s’empara du seau et le posa à l’extérieur. Elle le laissa se remplir d’eau avant de retourner dans la salle commune. Bien, il ne restait plus que l’étage.

Le très sombre escalier toisait Erin alors qu’elle posa son pied sur la première marche. La jeune femme leva la tête et déglutit. À cause de la taille du rez-de-chaussée, le premier étage était assez haut et l’escalier était… De mauvais augure.  Il ressemblait aux os d’une sorte de gigantesque monstre tapi dans les ténèbres.

Erin monta l’escalier avec prudence. C’était comme si chaque marche grinçait et grognait bruyamment dès qu’elle posait le pied sur l’une d’entre elles, et le bruit résonnait dans l’auberge sombre. Pour Erin, c’était comme marcher sur des mines… Chaque craquement était assourdissant et faisait tambouriner son cœur dans sa poitrine.

« Courage. Courage. Tu peux le faire. »

Erin se chuchota en gardant sa voix pour ne pas… Pour ne pas réveiller ce qui pouvait se trouver en haut. Son cœur manqua un battement à cette idée, et elle s’arrêta à mi-chemin, tremblant légèrement.

« C’est stupide. Il n’y a rien en haut. Rien ! »

Elle s’arrêta.

« D’accord, peut-être qu’il y a quelque chose.  Je ne sais pas.  Il pourrait y avoir… D’autres Gobelins ? Mais il n’y a pas de Dragon ? Bien sûr qu’il n’y a pas de Dragon ! Ne sois pas stupide. »

Une légère hésitation. Un nouveau pas.

« Mais un Dragon pourrait se cacher en haut. »

Erin fit un pas en arrière. L’escalier grinça. Elle se réprimanda tandis que son cœur tambourinait douloureusement dans sa poitrine.

« Ne sois pas stupide. Un Dragon est bien trop grand pour tenir là-haut.  Mais des Gobelins ? »

Elle s’arrêta et frissonna à cette idée. Le Dragon était une chose. Sa main toucha les brûlures de son épaule droite et elle se mordit la lèvre pour lutter contre la douleur. Puis la douleur causée par les coupures sur l’arrière de ses jambes se fit plus sévère et elle se rappela. Le Dragon l’avait brûlée et elle avait fui en hurlant. Elle avait couru, encore et encore, avant d’être trouvée par les petits hommes verts qui l’avaient pourchassée.

Elle parlait de Gobelins, pas d’extra-terrestres. En fait, les extra-terrestres auraient été préférables, car ils avaient l’avantage de ne pas vous poignarder avec des couteaux.

« Ou peut-être qu’ils le font. »

Erin regarda l’étage avec un rire nerveux. Les ténèbres semblaient l’attendre. De longues ombres transformaient le vieux bois en quelque chose de plus sinistre. Mais ce n’était qu’une illusion, un piège de son esprit. Elle savait qu’il n’y avait probablement rien en haut. Car si c’était le cas, n’aurait-il pas déjà essayé de la manger ?

Mais c’était une peur différente qui la paralysait. C’était la peur des enfants, la peur du noir et de l’inconnu. Alors, Erin hésitait. Mais elle savait qu’elle devait monter.

Au bout d’une minute, elle commença se parler discrètement.

« Chiffon.  Chiffon, chiffon, chiffon… »

Erin murmurait les mots comme un mantra. D’une certaine manière, le fait qu’elle doive absolument trouver un chiffon lui donnait la force de continuer à monter les escaliers.

Une marche. C’était la plus difficile. Puis deux marches. Le cœur d’Erin fit un bond lorsque l’escalier grinça sous ses pas, mais rien d’horrible n’arriva. Alors elle continua d’avancer.

Cependant, si les intimidants escaliers étaient le premier obstacle de son esprit, le couloir vide et grouillant d’ombres était à un tout autre niveau d’intimidation.

Il faisait si sombre. Erin ne pouvait pas voir à plus d’un mètre devant elle, même quand ses yeux s’étaient habitués à la pénombre. Mais après un tel effort elle ne pouvait pas s’arrêter. Alors elle continua d’avancer avec son cœur battant dans sa poitrine.

« Chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon… »

La première pièce qu’elle trouva était très, très sombre. Erin se faufila à l’intérieur et resta figée sur place en entendant un bruit. Est-ce que c’était un… froissement ?

Non, non, c’était juste son imagination. Elle pouvait entendre la tempête à l’extérieur et la pluie qui causait un boucan sur le toit. C’était probablement le vent qui soufflait contre l’auberge. Voire une feuille qui…

Froisse, froisse.

Il y avait un bruit. Le cœur d’Erin jouait du tambour dans son torse. Il y avait quelque chose dans la pièce avec elle, et elle espérait de tout son être que ce n’était qu’un rat. Un truc… qui sonnait comme quelque chose en cuir, comme deux ailes qui se déployaient…

« Chiffonchiffonchiffonchiffonchiffonchiffonchiffonchif… »

La foudre tombait au loin tandis que le vent soufflait contre l’auberge. Quelque chose de blanc et de pâle se déploya dans les ténèbres et vola vers Erin. Elle hurla, se protégeant de manière désespérée avec ses bras et tomba au sol, emportant la chose avec elle.

Pendant une minute, tout ne fut que confusion et tapage. Erin lutta farouchement contre le monstre qui l’attaquait tandis que la pluie commençait à assaillir son visage ; le monstre s’enroula autour de ses bras et de son visage. Elle arriva à le repousser et retrouva rapidement ses appuis pour voir que la terrifiante créature était…

Un rideau.

Pendant quelques secondes, Erin regarda le tissu délavé dans ses mains en état de choc. C’est une fois que son cœur décida d’arrêter de courir un marathon qu’elle se détendit.

« Des rideaux »

Elle ramassa le pâle morceau de tissu et l’observa. C’était… un rideau. Voilà l’étendue de ses talents de détective. C’était un rideau blanc, ou du moins il avait été blanc il y a bien longtemps. La moisissure et la terre l’avaient rendu plus gris que blanc, mais au moins c’était du tissu.

« D’accord, d’accord. »

Le cœur d’Erin continuait de battre la chamade. Elle regarda autour d’elle. La pièce était toujours très sombre, et le vent en provenance de l’extérieur faisait frémir les fenêtres de manière très inquiétante.

Erin ferma la fenêtre. Ce qui arrêta le bruit. C’était mieux que rien. Mais la pièce était toujours trop sombre pour être observée en détail. Bien, elle pourrait continuer de visiter le premier étage ; ou bien, maintenant qu’elle avait un chiffon, elle pouvait redescendre au rez-de-chaussée. Ce familier, réconfortant et poussiéreux rez-de-chaussée.

La pièce était très sombre. Erin y jeta un dernier coup d’œil et se dirigea rapidement vers le rez-de-chaussée. Elle jeta le rideau sur l’une des tables à côté du seau qu’elle avait trouvé et regarda autour d’elle.

« Voyons voir. Par où devrais-je commencer ? »

En réalité, la véritable question était : par où ne pas commencer. À l’exception des murs, toute la pièce était recouverte d’une épaisse couche de poussière. En fin de compte, Erin décida de commencer par la table sur laquelle elle s’était assise.

Le rideau humide… enfin, le chiffon, souleva un nuage de poussière, surprenant Erin et la faisant reculer en toussant. Mais le nettoyage était en fait facilement réalisable.

Dans un premier temps, Erin se contentait de pousser la poussière jusqu’au bord de la table et sur le sol. Après il suffisait de passer un nouveau coup de chiffon sur la désagréable surface de la table jusqu’à ce que cette dernière soit propre. Puis, elle nettoyait le chiffon dans le seau avec un peu d’eau et passait à une autre table.

Après un certain temps, l’eau du seau commençait à devenir grise à cause de la poussière. Erin ouvrit la porte de l’auberge, jeta l’eau et s’installa sur l’une des chaises en attendant que le seau soit de nouveau plein. Puis elle recommença son ménage.

Il y avait un rythme. En un rien de temps Erin avait nettoyé l’intégralité des tables, elle décida alors qu’il fallait aussi nettoyer les chaises. Et puis, une fois qu’elle en avait fini avec ça, elle pensa qu’il était logique de nettoyer le comptoir.

Le long comptoir était fait d’un bois de haute qualité. Erin admira la manière avec laquelle la faible lumière de l’extérieur faisait briller le bois après avoir enlevé la poussière. Le bar était suffisamment long pour accueillir au moins vingt personnes en même temps… Ou quinze s’ils étaient pointilleux sur le fait qu’il fallait de la place pour leurs coudes.

Une fois cela terminé, Erin nettoya l’étagère du barman sous le bar et les autres surfaces de la salle commune. Le ménage fini, l’auberge semblait déjà bien plus accueillante, car les meubles nouvellement nettoyés reflétaient la lumière déclinante de l’extérieur.

Cependant, il restait encore un endroit qu’Erin avait évité depuis le début. Le plancher.

C’était naturel. Erin n’avait rien qui pouvait lui servir de serpillière et elle avait poussé la poussière sur le sol depuis le début.  En conséquence, d’épais tas d’humide poussière s’étaient agglutinés par terre. Erin donna un coup de pied à l’un d’entre eux avant de hausser les épaules.

« Eh bien, quand on le compare aux tables et aux chaises… »

Elle ne pouvait que rire devant l’étrange fruit de son labeur. Des tables propres, un sol sale. Au moins il était possible de manger sur les tables. Et puis, qui prêtait attention au sol ? Le sol était juste fait pour qu’on marche dessus, pas pour dormir. Erin essuya son front et découvrit qu’elle était trempée de sueur. Et… Il faisait déjà nuit ?

Oui, alors qu’elle faisait le ménage, l’averse avait cessé et la lumière s’était amoindrie jusqu’au point où l’auberge était presque entièrement plongée dans le noir. Désormais, au lieu d’un méli-mélo d’ombres inquiétantes, il n’y avait plus rien à voir.

« Alors ce n’est plus effrayant, c’est désormais terrifiant. Formidable. »

Au moins, le rez-de-chaussée était rassurant. Erin inspecta la pièce, ses yeux apercevant que la lumière de la lune se reflétait sur les surfaces lisses des tables et des chaises. Oui, la pièce était légèrement plus accueillante. Elle l’avait nettoyée, et d’une certaine manière, cela voulait dire que c’était désormais sa pièce. Ce qui faisait qu’elle était plus en sécurité. Du moins, elle espérait que ça marchait comme ça.

Erin s’assit de nouveau sur une chaise et réalisa qu’elle était épuisée. Elle commença à basculer la chaise contre la table et soupira. Si jamais elle avait besoin d’une preuve pour justifier qu’elle n’était pas douée dans une situation de vie ou de mort, il lui suffisait de repenser à cette journée.  La voilà, perdue dans un monde terrifiant sans la moindre idée de l’endroit où elle se trouvait, et quel était son premier réflexe ? Nettoyer la pièce.

« Au moins maman serait contente. »

Erin riait toute seule. Elle ferma les yeux, accablée par l’épuisement. Il était temps de se reposer. Peut-être que tout irait mieux demain. Peut-être que tout cela n’était qu’un rêve. Probablement pas, mais…

Ses paupières se firent lourdes. Sa respiration se fit plus lente. Erin était juste assez consciente pour un dernier constat.

« Maintenant j’ai vraiment, vraiment faim. »

[Classe d’Aubergiste Obtenue !]

[Aubergiste Niveau 1]

[Compétence : Récurage Élémentaire Obtenue !]

[Compétence : Cuisine Élémentaire Obtenue !]

« … C’était quoi, ça ? »


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